Teesdalia nudicaulis

Colonie fleurie en avril

27/03/2023 Nous, Français, excellons dans l’académisme qui frise souvent la pédanterie pour nommer les espèces d’êtres vivants (voir la chronique sur les noms) en lien avec notre profond éloignement de la nature et notre perception des êtres vivants comme des choses. Ainsi, que penser de ce nom de Téesdalie à tige nue pour désigner cette petite plante, présente de manière dispersée dans une grande partie du pays ; ce nom abscons est la traduction directe du nom latin attribué en l’honneur d’un obscur botaniste et horticulteur anglais Robert Teesdale (1740-1804) … ce qui ne nous dit rien sur la plante elle-même ! Nos voisins anglais, plus proches globalement de la nature, ont opté de leur côté comme nom vernaculaire (le nom populaire « officiel ») pour shepherd’s cress, soit cresson de berger ; voilà un nom quand même mille fois plus poétique et qui concerne d’abord la plante elle-même (« faux-cresson ») et nous donne même une belle indication sur un de ses habitats, les pacages à moutons. Il est donc temps de rendre à cette mignonette très élégante sa vraie nature en s’intéressant à elle autrement qu’à travers l’évocation de botanistes du passé.

Faux-corymbe

Inflorescence compacte en début de floraison ; noter les boutons violacés à cause du calice refermé

Pour les non-initiés, faire connaissance avec la téesdalie suppose de ne pas rater sa brève période de floraison printanière qui commence à la mi-mars et s’achève au grand plus tard en juin ; là seulement, vous aurez la possibilité d’espérer la repérer au milieu de son cortège d’espèces compagnes qui partagent avec elle le fait d’être petites et d’avoir des fleurs blanches petites. Comme les milieux où elle vit (voir ci-dessous) sont naturellement secs, dès les premiers épisodes de sécheresse, les plantes fleuries et fructifiées fanent, sèchent et disparaissent … jusqu’à l’année suivante car la téesdalie est une annuelle à cycle court.

Comme chez les autres Crucifères, sa famille de rattachement, les inflorescences sont des grappes, soit des fleurs fixées le long d’un axe chacune par un pédicelle. Mais, cette grappe reste très compacte au moment de la floraison et toutes les nombreuses fleurs (jusqu’à quarante) qui la composent se retrouvent serrées et placées presque au même niveau ; on dirait presque un mini-corymbe, sorte d’ombelle dont les fleurs ont des pédicelles insérés à des niveaux différents (voir par exemple l’eupatoire chanvrine). La floraison y progresse typiquement depuis l’extérieur vers l’intérieur (centripète). En cela, elles ressemblent beaucoup aux inflorescences des ibérides, autres Crucifères porches dont nous reparlerons ci-dessous. On retrouve cette disposition initiale compacte chez d’autres Crucifères en début de floraison comme par exemple sur les colzas.

Mais, dès que la floraison avance, l’inflorescence s’allonge nettement et les ex-fleurs, devenues chacune un fruit à partir de l’extérieur (donc du bas), se retrouvent nettement espacées et chacune désormais à leur niveau. En tout cas, sur le terrain, cet aspect initial de gros « bouton blanc » fait de fleurs serrées accroche l’œil dès qu’on y prête un peu attention.

Étamines : 4 + 2

La téesdalie se classe donc dans la famille des Crucifères ou Brassicacées (voir l’ensemble des chroniques sur des espèces de cette famille) dont toutes ses espèces partagent le caractère clé une fleur à quatre pétales en croix (cruci, croix). Mais ce critère seul, bien que peu répandu dans notre flore, ne suffira pas à la distinguer car de nombreuses autres crucifères ont la même allure globale au moins au niveau des fleurs.

Le calice se compose de quatre sépales (autre caractère de crucifère) largement triangulaires, d’une teinte violacé pâle sur leur revers ; ainsi, les boutons floraux qui occupent toute la partie centrale de l’inflorescence initiale apparaissent de cette teinte délicate qui tranche avec le blanc pur des quatre pétales étalés et plus longs que les sépales dans les fleurs périphériques bien épanouies.

Au centre de chaque fleur ouverte, on voit poindre le style court surmonté d’un stigmate étroit (notez-le bien car nous le retrouverons sur le fruit à venir). Tout autour, six étamines forment un cercle ; elles réservent une surprise … qui se mérite (se munir d’une loupe compte-fil !) : à la base de chacune d’elles se détache une petite écaille blanche dressée recourbée (comme un mini-pétale), un caractère unique propre à la téesdalie : un caractère dit diagnostique, une vraie signature … mais réservée aux super initiés. Autre trait original mais partagé par les autres crucifères : il y a en fait deux lots d’étamines qui diffèrent par la longueur de leur filet : 4 + 2 (androcée dite tétradyname) ; d’ailleurs, les anthères ne mûrissent pas exactement en même temps pour ces deux types d’étamines.

Pétales : 2 + 2

Mais il reste un dernier caractère original des pétales qui lui, par contre, « saute aux yeux ». A l’instar des six étamines en deux lots, les quatre pétales se répartissent eu aussi en deux lots différenciés : les deux pétales externes (tournés vers l’extérieur de l’inflorescence) sont deux fois plus grands que les deux internes ; on a ainsi une fleur dite monosymétrique (un seul axe de symétrie) ou irrégulière. Ce caractère renforce l’attractivité visuelle de toute l’inflorescence puisque ces « grands » pétales forment une couronne périphérique quand l’inflorescence entame sa floraison depuis l’extérieur (voir ci-dessus) : en fait, sans le savoir, c’est ce qui attire le regard et fait que cette mini plante se démarque de ses consœurs.

Ce caractère est d’autant plus intéressant qu’il constitue une quasi-exception au sein de la famille des Crucifères : sur 330 genres réunis dans cette famille, seuls six possèdent ce caractère : tous les autres genres ont des fleurs polysymétriques ou régulières classiques (quatre pétales de taille égale et étalés en croix : deux axes de symétrie) (voir l’exemple de la ravenelle ou de la bourse-à-pasteur). Sur ces six genres, quatre sont représentés dans notre flore : notre téesdalie (Teesdalia) ; la calépine de Corvin ou calépine irrégulière (Calepina ; seule espèce de son genre) ; Ionopsidium (3 espèces dont une très rare naturalisée en Camargue) ; et les ibérides (Iberis) avec vingt-sept espèces au moins. Chez ces derniers, cette morphologie dissymétrique est encore plus accentuée : plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs utilisées comme ornementales de ce fait comme l’ibéride toujours vert.

Ibéride toujours vert très cultivé comme plante de rocaille

Cette innovation évolutive (passer d’une fleur régulière à une fleur irrégulière) induit une attractivité plus grande vis-à-vis des pollinisateurs spécialisés qui savent repérer cette morphologie ; ainsi, ces espèces améliorent leur capacité de pollinisation en tissant des interactions plus étroites avec des visiteurs fidélisés. Il n’est pas surprenant à cet égard que les ibérides aux fleurs très transformées (relativement aux autres) aient subi une diversification importante. On connaît de nombreux autres cas où l’acquisition d’une innovation évolutive clé « booste » le potentiel évolutif d’une lignée (voir l’exemple de l’éperon chez les ancolies).

Crucifère à corolle régulière : l’arabette du Caucase, autre plante de rocaille

Notre téesdalie se situe dans une position intermédiaire, un peu moins spectaculaire que chez les ibérides ; il est notable par ailleurs que dans son genre (3 espèces), elle est la seule à avoir suivi ce chemin : ainsi, sa très proche cousine, la téesdalie à feuilles de sénebière (voir ci-dessous) a des fleurs entièrement régulières.

Silicules

Téesdalie fructifiée (avec la pensée des champs et l’orpin réfléchi)

Pour autant, il semble bien que la téesdalie fasse surtout appel à l’autopollinisation (dès l’éclosion de la fleur) ce qui lui permet de compenser la rareté des pollinisateurs dans ses milieux de vie surtout à la période où elle fleurit. Mais, comme pour de nombreuses espèces de fleurs, en fait, on ne sait pas trop faute d’études précises et probablement qu’elle reçoit des visites vu la configuration de ses fleurs (voir ci-dessus).

Si les crucifères n’ont guère varié au niveau de la structure de leurs fleurs (voir ci-dessus), elles ont par contre connu une très forte diversification au niveau de leurs fruits avec deux grands types : des siliques (voir l’exemple de la cardamine hérissée ou de l’arabette tourette) ou des silicules (voir l’exemple de la bourse-à-pasteur). La téesdalie produit des silicules de 2,5 à 5mm de long ovales arrondies et comprimées en forme de cuillère ; fixées au bout du pédicelle de la fleur, elles sont orientées la face creuse vers le haut. La silicule issue donc de l’ovaire de la fleur (qui était bien caché au fond de la fleur) présente une petite échancrure au sommet avec le style minuscule qui persiste tandis qu’une aile courte entoure le bord. Chaque fruit renferme quatre graines ovoïdes brun jaune très petites de 1 à 1,7mm.

On peut confondre ces petits fruits avec ceux d’autres petites crucifères qui peuvent cohabiter avec elle : le tabouret perfolié dont les fruits peuvent être comparés à des sièges de tracteur vintage (voir la chronique) ou des petits passerages (Lepidium).

On ne connaît aucun mode de dispersion particulier associé à ces fruits et graines : elles tombent au sol, peut-être emportées un peu plus loin s’il y a un coup de vent (les milieux de vie sont très ouverts à végétation rase) ; on sait juste que les graines peuvent survivre au passage dans l’intestin d’un animal qui les aurait consommées incidemment en broutant la plante comme les moutons par exemple. Et pourtant, elle habite des milieux souvent très dispersés et fragmentés dans l’espace ce qui suggère qu’elle doit bien disposer de moyens non connus pour se propager à plus grande échelle. Encore un point à étudier … comme chez de très nombreuses autres espèces !

Annuelle hivernale

Germination en masse mi-septembre (avec de jeunes petites oseilles) après une période pluvieuse

Par contre, les modalités de la germination ont été étudiées en détail. Toute la plante meurt après la fructification : il reste souvent les tiges sèches avec des fruits réduits à leur seule cloison centrale (le replum : voir la chronique sur la bourse-à-pasteur) qui elles peuvent persister jusque dans l’hiver. Dès le début de l’automne (septembre) les graines tombées en fin de printemps germent et donnent des plantules qui élaborent une rosette de feuilles (voir ci-dessous) et une racine pivot qui descend jusqu’à 4cm de profondeur. Ensuite, avec l’arrivée du froid, la jeune plante en rosette entre en vie ralentie et passe ainsi l’hiver avant de redémarrer au début du printemps. C’est pourquoi on la qualifie d’annuelle hivernale (voir l’exemple de la saxifrage tridactyle).

Dès la mi-mars, les rosettes qui ont passé l’hiver émettent la première tige florale centrale : les fleurs sont déjà prêtes !

Dans une étude anglaise, on a observé que 90% des graines de l’année germaient en automne. On a de ce fait souvent supposé l’absence de banque de graines résiduelle dans le sol ; et pourtant on peut retrouver des graines en analysant des sols de stations où la plante ne pousse plus : ceci suggère une certaine capacité de persistance qui lui permet de se réinstaller suite à une réouverture d’un milieu qui s’était fermé (par exemple, le retour du pâturage qui la favorise beaucoup). D’ailleurs, pour germer, elle dépend très fortement de la présence de zones dénudées bien éclairées : elle affectionne ainsi les grattées de lapins ou les endroits « travaillés » par des colonies de fourmis terricoles. En Suède, on a montré que ces deux types de perturbations naturelles augmentaient d’un facteur 2 à 4 l’installation des plantules.

La germination a lieu tôt en automne mais à condition qu’il y ait eu un minimum de pluies. En cas de sécheresse automnale, la germination se trouve repoussée jusqu’à l’arrivée (éventuelle) de pluies. Un report de 3-4 semaines de la germination de mi-septembre et mi-octobre provoque une nette réduction de la taille des rosettes des plantules et va induire l’année suivante une floraison un peu plus tardive … avec le risque accru de tomber sur une période de sécheresse printanière ; dans ce cas, la production de graines de l’année suivante diminue de 40%. La téesdalie est donc très étroitement liée aux conditions météorologiques sur des fenêtres temporelles limitées ; la crise climatique en cours risque donc de l’impacter sérieusement. De plus, au printemps, une période de sécheresse accélère la sénescence de la rosette et la mort prématurée de la plante ce qui va là encore fortement impacter la production de graines.

Rosettes

Happés par les fleurs et les fruits, nous en avons oublié de parler des tiges et feuilles. Toute la plante est pubescente, avec des poils très courts.

Rosettes hivernales aux côtés de rosettes de millepertuis

Les tiges dressées peuvent aussi bien atteindre 25cm de haut que … à peine 5mm et porter quand même une fleur : cette plasticité est une adaptation à la vie en milieu presque extrême (voir ci-dessous) avec la forte dépendance envers les pluies et l’humidité du sol.

La tige centrale ne porte aucune feuille d’où le qualificatif de « à tige nue » (épithète latin nudicaulis) ; par contre, les autres tiges périphériques, s’il y en a, peuvent en avoir deux ou trois toutes simples. Comme mentionné ci-dessus, dès le début de son développement, la jeune plante élabore une rosette basale qu’elle va conserver tout l’hiver et au printemps jusqu’à la fructification où elle va sécher. La rosette se compose de petites feuilles d’apparence un peu charnue, vert foncé, glabres ou faiblement poilues ; elles sont découpées en lobes bien séparés avec le lobe terminal plus large parfois lui-même trilobé. Cette rosette plaquée au sol en hiver tend à se redresser au printemps avec la floraison et la montée d’autres plantes autour d’elle.

La rosette reste le temps de la floraison (ici, une tige a été coupée par un lapin)

Les feuilles peuvent être attaquées par des larves de mineuses (voir la chronique) : l’asticot d’une petite mouche (Scaptomyza flava) très généraliste ou la larve de deux espèces de charançons, l’une très généraliste Orthochaetes insignis (consommant de nombreuses espèces de plantes non apparentées) et l’autre Ceutorhynchus minutus plus restreint sur diverses espèces de Brassicacées ou Crucifères. Sur les tiges, on peut observer des galles sous forme de renflements allongés provoqués par la larve d’un autre charançon, Ceutorhynchus atomus, confiné sur quelques Crucifères et ayant pour hôte principal l’arabette des dames ; or, celle-ci accompagne souvent la téesdalie dans ses habitats ce qui doit faciliter le passage vers cette dernière.

Psammophile

A plusieurs reprises, nous avons évoqué ces milieux de vie et leurs contraintes (voir la germination par exemple). La téesdalie se comporte en espèce spécialisée des pelouses sableuses (plante psammophile) sur des sols acides siliceux à base de graviers ou de grains de sable, qui se développent notamment en surface d’affleurements rocheux granitiques. Elle fuit absolument le calcaire et les terrains enrichis en nitrates ce qui explique que même dans ses bastions elle reste souvent sous forme de colonies très dispersées. De tels milieux, du fait de la structure granuleuse du substrat, ont des sols très filtrants qui ne retiennent pas l’eau de pluie d’autant qu’ils sont généralement très peu profonds et que la roche sous-jacente est fissurée. Voilà pourquoi la tesdalie se montre si dépendante des précipitations dans son cycle de vie : le moindre épisode de sécheresse prolongée « grille » littéralement ces milieux et le développement n’y est possible (pour des annuelles) qu’au printemps. On suppose d’ailleurs que la rareté de la téesdalie à tige nue en région méditerranéenne vient de cette incapacité à surmonter les sécheresses. Elle y est remplacée souvent par sa proche cousine, la téesdalie à feuilles de sénebière qui remonte vers l’Ouest et jusqu’en Limagne auvergnate.

Elle trouve donc de telles conditions réunies dans divers habitats souvent peu étendus et très fugaces dans la durée : pelouses écorchées sur des affleurements rocheux enrobés d’arène sableuse ; bordures de champs cultivées sur des sols sableux ; dunes perturbées ; graviers divers dans des environnements humanisés (rarement). Elle est menacée par l’absence de perturbations (voir les lapins ci-dessus) dont le pâturage ovin qui la favorise nettement, l’enfrichement des pelouses colonisées par des ligneux (elle ne supporte pas l’ombrage ni la compétition des vivaces), l’extraction des sables et l’intensification agricole avec notamment les apports de nitrates liés aux engrais.

Dans ses milieux, elle côtoie surtout des plantes annuelles comme elle seules capables d’y survivre (par évitement en décalant leur cycle !) : la canche précoce, la cotonnière naine, le myosotis nain, l’ornithope, la véronique des champs, l’alchémille des champs, …

Bibliographie

Teesdalia nudicaulis L.. Shepherd’s Cress. Species Account. Stroh, P.A. 2015. Botanical Society of Britain and Ireland.

Corolla Monosymmetry: Evolution of a Morphological Novelty in the Brassicaceae Family. Andrea Busch et al. Mol. Biol. Evol. 29(4):1241–1254. 2012