Xylocopa

30/03/2022 Au sein de l’ordre des hyménoptères (voir la chronique), la famille des abeilles ou Apidés compte au moins 5700 espèces dans le monde. On la divise en trois sous-familles : les Apinés qui regroupent entre autres les abeilles sociales (dont l’abeille domestique), les bourdons, et la grande diversité des abeilles dites solitaires (voir la chronique) ; les nomadinés ou abeilles coucous, spécialisées dans le parasitisme de nids d’autres abeilles ; et la sous-famille qui va nous intéresser ici : les abeilles charpentières ou Xylocopinés. Ces dernières nous sont relativement familières au moins pour les grandes espèces, remarquables par leur stature massive : toute noires avec des ailes bleu irisé, elles volent avec un fort bourdonnement et fréquentent volontiers les jardins et les abords des maisons où elles viennent butiner sauges et glycines entre autres. 

Xylocopes 

La sous-famille des abeilles charpentières est elle-même divisée en quatre tribus représentées chacune par un seul genre ; deux d’entre elles se trouvent en Europe de l’Ouest dont la France : la tribu des cératines et celle des xylocopes. 

Les cératines (Ceratina) ou petites abeilles charpentières sont très peu connues y compris des cercles naturalistes non spécialisés : petites, d’un noir luisant avec des reflets métalliques bleutés, verdâtres ou dorés et quelques marques claires, elles se démarquent par l’absence quasi-totale de pilosité. Pas moins de vingt espèces vivent en France mais leur identification s’avère très complexe. Elles nichent dans des tiges sèches d’arbustes ou de grandes herbacées avec de la moelle qu’elles creusent ; elles butinent diverses fleurs avec des préférences marquées pour les panicauts champêtres, les vipérines, les centaurées et les scabieuses. Nous ne développerons pas plus ici cette tribu méconnue. 

La tribu qui va nous intéresser maintenant est donc celle des xylocopes (nom masculin) ou grandes abeilles charpentières qui compte au moins 500 espèces dans le monde, surtout dans les régions tropicales et subtropicales. Les trois espèces principales de notre faune partagent un certain nombre de caractères typiques qui permettent de les identifier au niveau du genre (Xylocopa) très facilement. La taille du corps varie de 1,5cm pour la plus petite espèce à 2,5cm voire 2,8cm pour les deux plus grandes : massives, trapues, elles impressionnent par leur « carrure » qui rappelle celle des bourdons en plus grand. D’ailleurs, le grand public les confond parfois avec ces derniers mais ces xylocopes en diffèrent nettement par leur coloration uniforme noire avec des reflets métalliques sur l’abdomen et l’absence de pilosité dense sur le corps (juste une pilosité éparse et courte surtout dessous) et les ailes nettement teintées de bleu irisé. Peu farouches, ils se laissent facilement observer notamment quand ils butinent, venant même parfois à la rencontre de l’observateur comme pour l’impressionner. Ils n’ont pas de corbeilles à pollen sur leurs pattes arrière comme les bourdons et brossent le pollen sur leur corps qui peut en être enduit, donnant parfois l’illusion qu’ils ont des taches colorées. 

Le vol très rapide et direct s’accompagne d’un fort bourdonnement. Le matin, au premier envol, ces grosses abeilles font vibrer leur thorax via des contractions musculaires ; une partie de la chaleur ainsi produite est transférée vers l’abdomen et permet à ces insectes de voler même à des températures assez basses grâce à cette forme de thermorégulation. 

Les femelles seules possèdent un dard et produisent un venin de composition très complexe avec au moins 43 familles différentes de protéines. Dès 1865, on avait observé qu’une piqûre de xylocope femelle pouvait tuer un petit oiseau en quelques heures. Chez l’homme, la piqûre est très douloureuse mais, en pratique, reste très rare car les xylocopes ne sont pas agressifs du tout sauf si on les prend en main ou si on s’attaque à un nid occupé. 

Abeilles charpentières 

Ce nom populaire intriguant, équivalent au nom scientifique de xylocope (xylo, bois et cope couper) renvoie au mode de nidification de ces abeilles ; tous les xylocopes (à l’exception d’un petit sous-genre qui niche dans le sol) nichent dans des tiges mortes : branches ou troncs morts sur pied, grandes tiges herbacées dures comme celles des cannes de Provence. Ils y creusent avec leurs puissantes mandibules des galeries tunnels plus ou moins ramifiés dans lesquels ils vont élever leur progéniture (voir ci-dessous). Dans sa première description publiée en 1734 dans ses Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, le naturaliste R. A. Ferchault de Réaumur les décrit sous le nom de mouches perce bois. Ce nom est repris dans diverses langues comme en anglais avec carpenter bee ou holzändler en allemand. 

Les xylocopes de France mènent une vie solitaire, i.e. qu’ils nichent individuellement. Mais si on élargit à l’ensemble de la tribu, on constate que diverses espèces ont évolué vers une vie semi sociale comme chez le xylocope pubescent du bassin méditerranéen , tout noir avec le thorax jaune : une seule femelle se reproduit à la fois au sein des « colonies » et inhibe la reproduction des autres ; les filles de la première génération prennent la relève ou aident à l’entretien de la colonie ; les mâles tiennent des territoires à l’écart dans lesquels les femelles entrent pour s’accoupler.  

La pilosité peu développée (isolante) et la position des nids « en l’air » font que ces espèces ont un comportement thermophile : elles recherchent des sites ses et chauds, bien exposés, avec du bois ou des tiges mortes pour nicher. Ainsi, en France, les xylocopes se montrent bien plus communs dans la moitié sud même s’ils tendent, avec le réchauffement climatique, à progresser de plus en plus vers le nord.  Le milieu périurbain leur convient bien aussi du fait de l’effet « ilot de chaleur urbain ». 

Quatre espèces 

La faune de France compte quatre espèces de Xylocopes. Le xylocope brun ou abeille charpentière de Cantabrie (X. cantabrina) diffère radicalement des trois autres par sa coloration brun clair, un revêtement pileux dense et des ailes claires sans reflets métalliques. Cette espèce rare à répartition disjointe en Espagne et au Maroc, n’est connue en France que du seul massif de la Sainte Baume dans le Midi et est étroitement associée aux peuplements d’asphodèles. 

Le xylocope irisé ou petit xylocope bleu (X. iris) correspond par contre à la description générale donnée ci-dessus sauf qu’il est nettement plus petit (1,5cm de long) ; pour l’instant cantonné à la seule région méditerranéenne, on commence à avoir des observations plus au nord. Il niche dans des tiges creuses de grandes herbacées : asphodèles, chardons, férules, grandes berces, bardanes, angéliques, peucédans, maïs, …

Le xylocope bancal (X. valga) et le xylocope violacé (X. violaceus) sont les deux grandes espèces noires à ailes bleu irisé de notre faune et qui nichent dans le bois mort ou les grandes cannes : très proches, ce sont presque des espèces jumelles difficiles à distinguer sur le terrain. 

Mâle de xylocope violacé avec la tache claire vers le bout des antennes

Le xylocope bancal vit essentiellement dans le Midi avec des populations isolées çà et là vers le nord et l’est, notamment à la faveur de grandes vallées fluviales (Garonne, Seine, Rhône). Reste enfin le xylocope violacé auquel nous allons consacrer tout le reste de cette chronique. La distinction avec le précédent n’est facile que si on observe des mâles : ils se reconnaissent immédiatement à la présence de deux articles roses à jaunâtres vers l’extrémité de leurs antennes noires. Mais ceci ne fonctionne pas avec les femelles qu’il faut examiner de très près pour les différencier du xylocope bancal avec d’autres critères. Sur le site faune Alsace, vous pouvez trouver un tableau comparatif très détaillé des trois espèces. 

Les 3 espèces présentées sur le site Faune Alsace

NB Sur la plupart de mes photos (sauf celles de mâles avec la tache sur les antennes), je ne sais pas s’il s’agit toujours de X. violacé

Xylocope violacé 

Place donc maintenant à l’espèce la plus commune et avec la plus vaste aire de répartition chez nous. S’il est très abondant en région méditerranéenne, le xylocope violacé le reste localement dans l’ensemble du pays où il atteint le nord jusqu’en Belgique (mais n’y niche que rarement) et la côte atlantique (évitée apparemment par le X. bancal) à l’ouest. Il fréquente notamment les grands couloirs que sont les vallées fluviales au climat plus abrité. Au cours des deux dernières décennies, on note une nette tendance à une expansion généralisée autant en France que dans le reste de l’Europe. Ainsi, il est noté de plus en plus en Suisse dans le canton de Fribourg depuis 2003. En Pologne, après plus de 70 ans sans aucune observation, il a été noté dans vingt localités entre 2005 et 2017. L’absence de bois mort adéquat pour nicher semble être en fait son principal frein maintenant que le réchauffement climatique lui offre un contexte nettement favorable. 

Le xylocope violacé s’observe de janvier ou février à octobre ou novembre. Les adultes hibernent et peuvent voler à l’occasion de belles journées chaudes comme on en connaît de plus en plus même au cœur de l’hiver. Mâles et femelles ne diffèrent que par de subtils détails : les mâles (sans aiguillon) sont un peu plus petits, avec des yeux plus développés et ont des antennes composées de 13 articles, au lieu de 12 chez les femelles. Ces dernières possèdent une sorte de gouttière sur le front et des épines sur la plaque dorsale qui soutient l’aiguillon. 

Au début du printemps, les mâles dominent en nombre avant de se raréfier dès juin ; en cours d’été, les femelles prédominent, très actives alors car occupées à préparer leurs nids : un pic est atteint en juillet. A partir d’août, les populations diminuent nettement. Le plus souvent il n’y a qu’une seule génération (espèce univoltine) mais parfois une seconde génération peut émerger en octobre : des adultes reconnaissables à leurs ailes toutes neuves non abimées et aux couleurs vives. Ils vont hiberner et se reproduire l’année suivante. 

Les femelles creusent leurs nids dans toutes sortes de bois mort ou creux : troncs, grosses branches, poteaux ou piquets de clôture, palissades, vieilles poutres vermoulues mais aussi dans des tiges de cannes de Provence. A propos du creusement et du choix des sites de nid, citons de nouveau Réaumur (voir ci-dessus) : 

Xylocope prospectant des trous déjà existant dans un vieux poteau de clôture

 Celle qui rôde au printemps dans un jardin, y cherche un endroit propre à faire son établissement, c’est-à-dire quelque pièce de bois mort d’une qualité convenable, qu’elle entreprendra de percer. Jamais ces Mouches n’attaquent les arbres vivants. Telle se détermine pour un échalas ; une autre choisit une des plus grosses pièces qui servent de soutien au contre-espaliers. J’en ai vu qui ont donné la préférence à des contrevents, et d’autres qui ont mieux aimé s’attacher à des pièces de bois aussi grosses que des poutres, posées à terre contre des murs, où elles servaient de banc. La qualité du bois et sa position entrent pour beaucoup dans les raisons qui la décident. Elle n’entreprendra point de travailler dans une pièce de bois placée dans un endroit où le soleil donne rarement, ni dans du bois encore vert ; elle sait que celui qui non seulement est sec, mais qui commence à se pourrir, à perdre de sa dureté naturelle, lui donnera moins de peine. 

Quand elles choisissent des supports de petit diamètre comme des cannes, de facto, elles ne peuvent creuser que des galeries linéaires dans l’axe de la tige, soit en montant, soit en descendant ; l’entrée est percée à une certaine distance du sol : dans le premier entre-nœud à un peu moins d’un mètre de hauteur pour les cannes. Dans des troncs ou poteaux plus volumineux, les femelles élaborent des nids plus complexes en 3D : d’abord un tunnel horizontal avant de brusquement obliquer et de ramifier sa structure. L’entrée se trouve le plus souvent au-dessus de la moitié de la hauteur du support. Elle ne choisit jamais des supports couchés au sol. Ces précautions semblent être un moyen de défense contre des prédateurs comme les lézards des murailles ou des fourmis lignicoles dites elles aussi charpentières. Le diamètre du trou unique d’entrée varie entre 9 et 15mm.

 Un entomologiste italien (voir biblio) rapporte deux observations de nids « géants » trouvés dans des troncs de pêchers : l’un d’eux composé de 7 tunnels de plus d’un mètre chacun et l’autre de 9 tunnels, les uns montant, les autres descendants, totalisant plus de 8 mètres de longueur totale.

Accouplements 

Dès leur sortie au printemps, et surtout le matin, les mâles se mettent aussitôt à patrouiller au hasard, guettant les émergences de femelles. L’interception des femelles peut se faire soit en vol, soit plus souvent sur une fleur quand celle-ci butine. Le mâle repère la femelle à vue (voir ses yeux plus développés) et atterrit sur elle :  il pose ses antennes sur l’avant de l’abdomen pendant une à cinq secondes pour tester la volonté d’accouplement de la partenaire ; dans 10% des cas, il refuse l’accouplement ce qui indique un choix basé sur la reconnaissance olfactive via les antennes (voir la chronique). De rares mâles (seulement 5% d’entre eux) adoptent un comportement typiquement territorial, chassant alors les autres mâles et même les autres abeilles venant butiner sur son territoire et attendant le passage de femelles. Il s’agit souvent de territoires où il y a une riche flore favorable : le coût important de dépense énergétique pour défendre le territoire est alors compensé par la ressource nutritive importante. 

Dans le Var, M. Terzo et ses collègues ont observé un comportement original au moment de l’accouplement (ref. 1) : 

La femelle écarte ses antennes latéralement. Le mâle vient alors toucher les antennes de la femelle en courbant ses propres antennes, à l’endroit précis où ses articles sont de couleur rose, c’est-à-dire au niveau des 11ème et 12ème articles. Le contact des antennes est très bref, à peine une fraction de seconde pendant laquelle le mâle est alors comme secoué d’un violent tremblement. Ce contact se reproduit ainsi de nombreuses fois avant que le couple se sépare. La coloration rose des onze et douzième segments antennaires du mâle semble ainsi témoigner d’une adaptation fonctionnelle impliquée dans la copulation. 

Une femelle qui vient de s’accoupler peut de nouveau le faire avec un autre mâle aussitôt après. Les rencontres avec les mâles se font au hasard de leurs propres pérégrinations à la recherche constante de nourriture et de sites de nids. 

Élevage 

Une fois les tunnels creusés, la femelle entreprend d’y bâtir des cellules délimitées par des cloisons faites de sciure compactée ; évidemment, elle commence par le fond d’un tunnel et avance en reculant si bien que la cloison supérieure de la première cellule devient le fond de la suivante. Dans les cannes de Provence, en Italie, les cellules font 14 à 20mm de long et sont séparées par des cloisons épaisses de 2mm au centre et 3 à 4mm à la périphérie. Dans chaque cellule, elle dépose un amas de pollen et nectar qui servira de nourriture à la future larve ; pour cela, elle doit parcourir de grandes distances à la recherche de plantes ressources pouvant être à plus d’un kilomètre du site de nid. Elle n’a souvent pas trop le choix du site, une ressource rare, qui ne se trouve donc pas forcément près de riches ressources florales. Dans chaque cellule, elle dépose un seul œuf et ferme la cellule avant d’entamer la suivante. Les larves qui éclosent depuis les œufs déposés se nourrissent des réserves, se développent jusqu’à se transformer en pupe et hibernent sur place. 

Femelle entrant dans son nid

Cet élevage demande un investissement colossal à la femelle depuis le creusage laborieux des tunnels. Mais, pour autant, sa tâche ne s’arrête pas là puisque qu’elle va monter la garde devant le nid tout le temps du développement des larves. Face aux intrus, que ce soient des congénères, d’autres insectes ou … des hommes, elle s’approche très près en bourdonnant très fort, un comportement d’intimidation caractéristique. Elle peut aussi expulser un liquide jaune rectal ou bloquer l’entrée en mettant en avant son thorax. Grâce à tous ces soins, l’espèce réussit à se maintenir en dépit d’une très faible fécondité : en moyenne 7 œufs par nid, une fois par an.

Éclectique

Reste à évoquer l’alimentation de cette espèce floricole qui fait figure de pollinisatrice « géante » dans nos environnements, un cran au-dessus des bourdons. Des quatre xylocopes de France, le violacé semble bien être le plus éclectique (polyectique en jargon entomologique). Une étude européenne a recensé au moins 742 espèces de plantes à fleurs de 85 familles différentes sur lesquelles ce xylocope a été observé en train de se nourrir ; en France et en Belgique, on a noté au moins 232 espèces de 45 familles différentes. Néanmoins, le xylocope violacé montre bien de nettes préférences pour les fleurs à deux lèvres à symétrie bilatérale dans les familles des Lamiacées (ou labiées), des Fabacées (Légumineuses ou papilionacées), des iris, des asphodèles, …

Certaines espèces ou genres sont particulièrement recherchés au fil de la longue saison d’activité : en hiver, les lamiers pourpres ou le jasmin d’hiver sont très visités ; puis au printemps, ce sont les glycines dans les jardins, les vipérines, les trèfles, les pruniers et cerisiers ; en fin de printemps et en été, on passe aux coronilles, aux grandes gesses (pois vivace : voir la chronique), aux sauges et les lavandes. En Espagne, les xylocopes assurent 19% des visites sur les fleurs du chèvrefeuille d’Etrurie (voir la chronique) contre 55% pour les bourdons. Sur les lavandes, si le xylocope transporte moins de grains de pollen par visite que de petites abeilles solitaires (halictes), il se déplace par contre bien plus entre deux visites consécutives ce qui assure plus de chance de transporter du pollen venant d’un autre pied. 

Sur le pois vivace

Les xylocopes ont une langue assez courte par rapport à leur taille mais compensent en forçant quelque peu l’entrée et en enfonçant leurs pièces buccales durcies dans les nectaires très fermés au fond des fleurs visitées. Ils choisissent souvent des plantes avec des inflorescences fournies et denses capables de porter leur poids et se déplacent en montant comme sur les grandes grappes des glycines. Curieusement, on peut aussi les observer butinant des fleurs assez petites mais agglomérées comme celles des ails, des chardons ou des hortensias. Par contre, ils ne fréquentent pas les fleurs très ouvertes groupées en ombelles sans doute en raison de la faible quantité de nectar offerte. 

Tricheuse invétérée 

Le « coup de reins » du xylocope en train de butiner une fleur de sauge sclarée

Dans mon jardin, j’admire chaque année devant ma terrasse la gymnastique pollinisatrice fascinante du xylocope sur les grandes fleurs des sauges sclarées : il se pose sur la lèvre inférieure puis avance sa tête devant l’entrée rétrécie qui ferme la gorge tout en déployant en avant sa langue ; puis, brusquement, il cabre son abdomen vers le haut, dans un vigoureux coup de reins : ceci le pousse en avant pour atteindre le nectar au fond du long tube. Tout se déroule en quelques secondes.

Xylocope sur sauge de Jérusalem : les anthères des étamines basculées lui brossent le dos et déposent leur pollen

En entrant, il pousse la base du style courbé qui s’abaisse sur son dos : le stigmate fourchu (s’il est réceptif) peut alors capter des grains de pollen provenant de la visite d’une autre fleur ; puis en forçant, il actionne le levier à la base des étamines (voir la chronique sur les sauges) dont les anthères viennent lui brosser le dos et y déposer le pollen blanc. Cette technique correspond à une visite dite légitime (du point de vue de la plante), i.e. au cours de laquelle le xylocope peut assurer le transfert de pollen sur le stigmate et donc polliniser la fleur. 

Flag : xylocope en train de prélever le nectar d’une sauge horticole en perçant à la base du tube de la corolle

Mais très souvent, le xylocope, tout comme d’ailleurs les bourdons, préfère adopter une autre stratégie dite illégitime : avec ses pièces buccales puissantes, il perce un trou à la base du tube de la corolle et va y introduire sa langue pour prélever le nectar alors bien plus facile d’accès car plus proche. Mais il ne passera par l’entrée et ne transfèrera pas de pollen. La plante produit alors du nectar à pure perte d’autant que d’autres butineurs plus petits comme les abeilles domestiques vont profiter de l’aubaine. On parle de tricherie caractérisée et ce comportement introduit une forte perturbation dans la reproduction d’une plante donnée s’il devient prédominant. 

Certaines plantes, comme les bruyères ou des solanacées, possèdent des fleurs avec des étamines pendantes dites poricides, s‘ouvrant à peine par des pores au sommet : pour faire sortir le pollen, il faut secouer fortement les anthères en les faisant vibrer. On parle de pollinisation par sonication ou trivialement « faire du buzz » à cause du bruit de vibration engendré. Le xylocope excelle dans cette technique grâce à la puissance de sa musculature thoracique. Suspendu sous une telle fleur, il fait vibrer son thorax à une fréquence supérieure de celle utilisée en vol, le plus souvent à la seconde harmonique (le double de cette fréquence), ce qui permet de faire entrer les anthères en résonnance. 

Enfin, sur une espèce américaine proche, on a mis en évidence le dépôt de marques odorantes lors des visites de fleurs de passiflores ; ces dépôts odorants proviennent des glandes de Dufour associées à l’aiguillon et ne sont donc utilisés que par les femelles. Pendant dix minutes, ce marquage olfactif induit une répulsion vis à vis des autres femelles mais pas des mâles dépourvus d’aiguillon et de ces glandes.

Conservation 

On ne peut quitter ces incroyables abeilles charpentières sans donner quelques conseils pour favoriser leur présence et leur maintien via les jardins. En effet, les xylocopes s’adaptent très bien au milieu urbain à condition de disposer des deux ressources essentielles : une gamme de fleurs à visiter de février à l’automne et du bois mort pour nicher. 

La floraison de la glycine attire irrésistiblement les xylocopes

Pour les fleurs, certaines espèces ornementales classiques sont très recherchées : glycines, cytises, genêts, passiflores, sauges de toutes espèces, sauge de Jérusalem (Phlomis ; voir la chronique), lavandes, pois de senteur et pois vivace (plante grimpante très rustique et pérenne qui se propage toute seule par graines), coronilles arbustives et baguenaudiers (voir la chronique), iris, vipérines, arbre de Judée, arbres fruitiers à floraison précoce, …. Laisser se développer des plantes sauvages indigènes telles que lamier blanc, lamier pourpre, trèfles, centaurées, …

Côté bois mort, il faut disposer des troncs ou grosses branches un peu vermoulus en position verticale. Ce peut être aussi un vieil arbre fruitier mort dont on coupe les branches pour laisser le tronc sur pied pourrir de sa belle mort : il deviendra un nichoir vivant à xylocopes et de bien d’autres insectes. Les vieux poteaux ou piquets sont aussi très appréciés. Ah, j’oubliais peut-être l’essentiel tant cela semble évident : aucun pesticide bien entendu.

Dans mon jardin, ce petit pommier mort laissé en place est devenu un gîte à xylocopes ; noter le tas de sciure au pied

La récompense sera à la hauteur de vos efforts : un spectacle garanti avec le grand show permanent des abeilles charpentières, très faciles à observer même de près. 

Bibliographie 

1)Révision des Xylocopinae (Hymenoptera : Apidae) de France et de Belgique Michaël Terzo, Stéphanie Iserbyt & Pierre Rasmont Ann. soc. entomol. Fr. (n.s.), 2007, 43 (4) : 445-491 ; remarquable synthèse très complète sur les xylocopinés 

Biology of Xylocopa violacea (Hymenoptera): In‐nest ethology, Italian Journal of Zoology, 63:3, 237-242, Salvatore Vicidomini (1996). Cet auteur a publié au moins six autres articles très documentés sur le xylocope violacé. 

Xylocopa Michaël Terzo www.atlashymenoptera.net 1/5

Venom profile of the European carpenter bee Xylocopa violacea: Evolutionary and applied considerations on its toxin components Björn M. von Reumont et al. Toxicon: 14 (2022) 100117 

Pollination and floral ecology. P. Willmer. Princeton University Press. 2011