Cônes mûrs sur un cèdre de l’Atlas

29/12/2022 Dans une première chronique, nous avons découvert l’ensemble des caractères et traits de l’appareil végétatif des Conifères (feuillage, bois, rameaux, résine) avec déjà un bon lot de surprises et un certain nombre d’idées reçues battues en brèche. Il reste à parcourir l’appareil reproducteur dont les fameux cônes à graines qui leur valent leur nom. Les Conifères ne sont pas des plantes à fleurs (angiospermes) mais se situent dans un groupe frère, les Gymnospermes qui regroupe d’autres lignées étranges (Ginkgo, Cycas, Éphédras, Welwitschia, …) : tous les deux constituent le grand groupe des plantes à graines (spermatophytes) qui se reproduisent avec du pollen. Mais par quoi ce pollen est-il produit et que font ensuite les grains de pollen puisqu’il n’y a pas de fleurs ? Et si elles n’ont pas de fleurs, alors elles n’ont pas de fruits : mais alors, les cônes sont-ils l’équivalent de fruits ? Cette seconde chronique va répondre à toutes ces questions et bien d’autres et nous offrir son lot de surprises pour mieux comprendre ces êtres passionnants, trop souvent déclassés et taxés péjorativement d’être « anciens et primitifs ». Hors des fleurs, il existe un monde de structures et de processus tout aussi élaborés et qui valent autant le détour du curieux de nature. 

Cônes à pollen sur un pin maritime

Cônes 

Cônes de cyprès en forme de boules

Pour leur reproduction, les Conifères disposent d’organes reproducteurs spécifiques : des cônes, un terme souvent mal compris. Ce mot vient du grec konos qui désignait « la boule à graines » des cyprès méditerranéens. En langage populaire, on emploie souvent l’expression « pomme de pin » mais celle-ci ne concerne en fait que les cônes allongés des pins, sapins ou épicéas, joyeusement confondus entre eux. En tout cas, le terme se limite étroitement aux seuls cônes renfermant des graines. 

Cône de pin maritime : « pomme de pin »

Pour les botanistes, cette notion attachée aux conifères est plus large ; elle désigne une structure reproductrice constituée d’écailles se chevauchant plus ou moins, fixées sur un axe central qui peut être ramifié et qui portent chacune un type d’organe reproducteur : soit des sacs à pollen (cônes mâles ou cônes à pollen), soit des ovules qui deviendront des graines (cônes femelles ou cônes à ovules ou cônes à graines). Comme ce ne sont ni des fleurs ni des inflorescences propres aux plantes à fleurs ou angiospermes, ces cônes, une fois mûrs, ne sont pas plus des fruits ou des infrutescences … comme le laisserait croire la « pomme » de pin.

Cônes à pollen sur un pin maritime

Par contre, au cours de la longue histoire évolutive du groupe, à plusieurs reprises, des structures charnues se sont développées soit autour des cônes femelles soit en les remplaçant entièrement : on a alors des cônes charnus comme ceux des genévriers ou des ifs, mais ce sont des pseudo-fruits ou des faux-fruits. Cela dit, nous verrons que d’un point de vue biologique (dispersion) ces cônes remplissent bien le rôle de fruits. 

De nombreux conifères ont des cônes petits comme ce cyprès de Lawson, loin de l’archétype de la « pomme de pin »

Le problème est que, même en botanique, on utilise aussi ce mot de cône (ou son synonyme de strobile, de strobilos, toupie ou qui tournoie) en dehors des Conifères pour désigner des organes reproducteurs pas forcément équivalents mais ayant la même allure : ainsi, on l’emploie pour désigner les organes producteurs de spores des prêles ou des lycopodes ou, à plus juste titre, chez d’autres Gymnospermes parentes comme la Welwitschia (voir la chronique) ou les Cycas. On l’emploie même pour désigner certains vrais fruits ligneux de plantes à fleurs comme les « cônes » des aulnes qui ressemblent fortement à ceux par exemple des cyprès, tout en étant d’origine et de fonction très différentes ou bien les infrutescences herbacées des houblons. Il faudrait en toute rigueur parler alors de pseudo-cônes pour réserver ce terme aux seuls Conifères. 

Sexes plus ou moins séparés 

Exemple de conifère monoïque (épicéa) avec des cônes femelles à graines (à gauche) et de nombreux cônes mâles à pollen

Contrairement aux plantes à fleurs ou Angiospermes où les organes sexuels mâles (étamines) et femelles (pistils) sont le plus souvent regroupés dans une même fleur (hermaphrodite), chez tous les Conifères sans exception, les organes sexuels mâles et femelles sont séparés. Cette séparation des sexes se fait de deux manières différentes. Soit les organes sexuels sont portés sur le même arbre ou arbuste (rappelons qu’il n’y a aucune plante herbacée parmi les Conifères) mais séparément : les cônes à pollen distincts des cônes à ovules ; on parle alors d’arbres ou arbustes monoïques (mono, seul et oikos, qui habite, … que l’on retrouve dans écologie). Soit les organes sexuels sont portés sur des arbres différents : les uns ne portent que des cônes à pollen (on les qualifie d’arbres « mâles ») et les autres ne portent que des cônes à ovules (arbres « femelles ») ; on parle alors d’espèce dioïque. 

Les proportions de ces deux types varient selon les familles de Conifères. Au sein des Pinacées (sapins, épicéas, pins, mélèzes, …), tous sont monoïques. Inversement, pratiquement toutes les espèces des familles des Podocarpacées (famille tropicale très diversifiée) et des Taxacées (Ifs et alliés) sont dioïques. Le pin-parapluie (voir la chronique) unique dans sa famille (Sciadopytiées) est monoïque. Chez les araucariacées, les Araucarias sont l’un ou l’autre ; l’Araucaria du Chili (voir la chronique) est dioïque alors que le Wollemia (voir la chronique) est monoïque. Chez les Cupressacées, la majorité des genres sont monoïques mais on trouve des espèces dioïques chez une partie des genévriers et dans des genres exotiques (comme Fitzroya).

Par cette relative dominance de la monoécie (le fait d’être monoïque) sur la dioécie (être dioïque), les Conifères diffèrent sensiblement des autres Gymnospermes au sein desquels ils s’insèrent : les Cycas, le Ginkgo et une bonne partie des Gnétales (Ephedra et Welwitschia) sont dioïques. Les reconstitutions phylogénétiques indiquent la dioécie serait ancestrale et associée très souvent à la production de pseudo-fruits charnus (comme les « prunes » des ginkgo ou le « raisin de mer » des Éphédras) : nous y reviendrons dans une future chronique. Ainsi, les Podocarpées et les Ifs mentionnés ci-dessus, presque tous dioïques, produisent de tels pseudo-fruits charnus. 

Chez les espèces monoïques, on a deux cas de figure. Quand les cônes à pollen et les cônes à graines, présents sur le même arbre, sont portés sur des branches différentes on parle d’espèce dicline comme c’est le cas chez les pins. Ou bien ils peuvent être portés sur les mêmes branches, voire très proches comme chez le sapin de Chine (Cunninghamia). 

Cônes à pollen 

Photo prise en secouant des rameaux de pin maritime porteurs de cônes à pollen mûrs
Pluie de pollen flottant à la surface de ce plan d’eau au milieu d’une pinède à pin sylvestre

La production de pollen par les conifères est connue via les « pluies de pollen » que provoquent les pins au printemps ou les cèdres en automne, très visibles au niveau des flaques d’eau (voir la chronique). Heureusement, à l’exception des cyprès, le pollen des conifères n’est en principe pas allergène. Ces pluies de pollen, qui traduisent une production massive, résultent du fait que tous les conifères sont anémophiles, i.e. que leur pollen est transporté au hasard par le vent.

En septembre, les cèdres déploient leurs innombrables cônes à pollen à contre-temps de la majorité des conifères

Chaque arbre doit donc en produire de grandes quantités pour qu’un minimum de grains atteignent leur cible, les ovules des cônes femelles (voir la chronique générale sur l’anémophilie). Une grande partie de ce pollen atterrit au sol ou à la surface de l’eau ou sur les feuillages qui l’interceptent ; il n’est pas perdu pour tout le monde car il est vite dégradé par de nombreux microorganismes. 

Par contre, beaucoup de gens ignorent comment ce pollen est produit ; ceci est la conséquence de l’absence de fleurs auxquelles nous associons le pollen libéré par les étamines. Il faut dire que chez nombre de grands conifères, les organes mâles se trouvent souvent en hauteur, peu accessibles à la vue ou sont de petite taille (voir les cyprès) et attirent peu le regard.

Les cônes mâles des cyprès (C. de l’Arizona) sont très nombreux mais minuscules au bout des rameaux ultimes

Ce sont donc des cônes au sens botanique (voir le premier paragraphe), jamais lignifiés et toujours transitoires, d’aspect souvent fragile : un axe simple porteur de nombreuses écailles sur la face inférieure desquelles s’insèrent des sacs remplis de pollen (sacs polliniques) ; plusieurs bractées (feuilles modifiées : voir la chronique) sous-tendent souvent ce cône à sa base. Ces cônes sont produits par des bourgeons situés sur certains rameaux (voir le paragraphe ci-dessus). A maturité, les écailles s’écartent et le pollen peut être libéré et emporté par les courants d’air qui les traversent. 

Contrairement à celle des cônes femelles, la morphologie des cônes mâles reste assez uniforme au sein des conifères : la pression de sélection a peu agi sur cet organe puisque tous les conifères sont restés anémophiles ; aucun n’a développé un recours aux services d’insectes ou d’autres agents vivants pour en assurer le transport, ce qui aurait nécessité de profondes transformations de ces cônes. La taille de ces cônes varie de quelques millimètres chez le genévrier commun à presque 25cm chez l’Araucaria du Chili (voir la chronique) en passant ceux des cèdres longs de 4 à 5cm.

Souvent, ils sont regroupés en étages ou en cercles denses comme chez les pins. Certains botanistes ont avancé l’idée que les écailles de ces cônes mâles seraient l’équivalent (organes homologues) des étamines des plantes à fleurs mais le consensus général va plutôt vers l’idée d’une convergence évolutive. 

Cônes à ovules 

Chez la majorité des Conifères, les cônes femelles ou cônes à ovules se lignifient (consistance du bois) et deviennent plus ou moins persistants sur l’arbre. Comme leurs collègues masculins, ils sont formés d’un axe central sur lequel peuvent s’insérer deux types d’appendices foliaires transformés : une bractée ou feuille transformée qui sous-tend (voir la chronique sur les bractées) et au-dessus, une écaille dite ovulifère, élargie et aplatie souvent en bouclier ; cette dernière porte sur sa face intérieure deux ovules fixés dont l’ouverture qui permet la pollinisation (voir le paragraphe suivant) est tournée vers l’axe ; on parle d’ovules en position inversée. Ces paires bractées/écailles s’insèrent en spirale le long de l’axe central du cône. Chaque bractée conserve à son aisselle un bourgeon axillaire mais devenu microscopique. Cette description correspond au modèle « de base » ou plutôt ancestral car au cours de leur longue histoire évolutive , les cônes femelles ont connu de fortes transformations selon les lignées à l’intérieur des Conifères avec une tendance générale à la réduction et la concentration. 

Très souvent, écaille et bractée ne soudent en un seul appendice comme dans les cônes de Cupressacées, lesquels ont de plus une forme globuleuse.

Chez les Pinacées, certains genres conservent les deux types d’appendices avec la bractée bien visible. Ainsi chez le sapin de Douglas (Pseudotsuga), la bractée est profondément divisée en trois ; chez les « vrais » sapins (Abies), on observe différents cas :  bractée très visible sous forme d’une longue languette, émergeant entre les écailles et donnant aux cônes un aspect chevelu chez le sapin noble (A. procera) ; courte languette rabattue chez le Sapin de Nordmann ; très courte languette incluse entre les écailles chez le sapin d’Espagne (A. pinsapo).

Chez les épicéas, la bractée se réduit encore plus et il faut dissocier le cône et extraire les écailles pour trouver les bractées collées contre celles-ci. 

Cônes verts d’épicéa commun

Dans trois lignées (Podocarpacées, Taxacées et le genre Juniperus au sein des Cupressacées), on a eu une évolution encore plus radicale avec développement de structures charnues tandis que les appendices originaux se réduisent ou même disparaissent entièrement comme chez les ifs ; nous consacrerons une chronique spécifique à ces « pseudo-fruits » charnus très originaux. 

Le caractère ligneux des écailles varie beaucoup selon les genres allant d’écailles très fines et minces à très épaisses et fortement indurées. Souvent elles développent sur leur dos des apophyses plus ou moins marquées pouvant prendre un caractère presque épineux. La taille des cônes varie considérablement ; ainsi chez les pins (Pinus) les cônes peuvent, selon les espèces, ne peser que quelques grammes à plus de … 2 kg chez un pin du Mexique. Quant aux cônes verts des araucarias du Chili (voir la chronique), ils pèsent 3 à 4 kg … de quoi bien vous assommer vu la hauteur d’où ils tombent. Si la majorité des cônes à maturité sont dans des tons de brun, quelques-uns (en laissant de côté les pseudo-fruits charnus souvent très colorés) peuvent afficher de belles couleurs inattendues comme les cônes bleu foncé du sapin de Corée ou ceux du pin de Serbie. 

Pollinisation  

Jeunes cônes femelles de mélèze fraîchement éclos ; noter les écailles largement ouvertes (et la bractée jaunâtre qui dépasse un peu)

Nous avons vu ci-dessus que le pollen, libéré en masse, était transporté « au hasard » par le vent. Pour que la fécondation ait lieu, les grains de pollen doivent atteindre les ovules profondément nichés entre les écailles des cônes femelles (voir ci-dessus). Si on prend l’exemple des pins, les jeunes cônes femelles fraîchement éclos mesurent quelques centimètres de haut pour un diamètre de 4 à 10mm. A ce stade, leurs écailles non durcies sont écartées, rendant donc les ovules accessibles ; mais pour autant, on reste très circonspect quant à l’efficacité de tels « capteurs à pollen » : on se dit qu’il doit y avoir quelque chose qui facilite la captation du pollen pour ne pas limiter la production de graines à partir des ovules. 

Jeunes cônes femelles d’épicéa prêts à capter du pollen

Dans les années 80, Niklas avait proposé un modèle de « turbine » basée sur le fait que les écailles disposées en spirale étaient chacune recourbées avec un profil aérodynamique (aerofoil) créant des circulations locales d’air : les grains de pollen, selon ce modèle, seraient aspirés vers le centre du cône et atterriraient ainsi au contact des ovules. Une nouvelle étude menée en 2007 en soufflerie sur des cônes invalide complètement ce modèle de turbine supposé adaptatif et conclut à un processus par simple impaction sur les écailles écartées, relativement molles qui amortissent les chocs. Mais alors à quoi serviraient cette forme et cette disposition des écailles des cônes ? Deux hypothèses (à vérifier) sont proposées : soit par temps de pluie, via l’écoulement des gouttes d’eau, elles entraîneraient les grains de pollen vers l’axe, au plus près des ovules ; soit la forme aérodynamique des écailles serait imposée par leur gonflement qui permet de les garder ouvertes un temps avant leur dessèchement et leur fermeture. A noter qu’un autre facteur peut faciliter la pollinisation : la tendance, en milieu tempéré et froid, de nombreux conifères à former des peuplements monospécifiques (pinède, sapinière ou pessière par exemple) ce qui facilite grandement les chances que du pollen rencontre des cônes. D’autre part, les cônes femelles sont souvent formés au bout des tiges de l’année voire ne se forment que dans la cime des arbres comme chez de nombreux sapins … ce qui au passage complique grandement leur observation par le naturaliste qui doit recourir aux jumelles ou au gros téléobjectif. 

Chaque ovule possède à son extrémité tournée vers l’axe du cône (voir ci-dessus) une petite ouverture, ménagée dans son tégument : le micropyle (pulè, ouverture). Chez beaucoup de conifères, ce micropyle émet une gouttelette dite de pollinisation, une goutte de liquide visqueux et collant qui capte les grains de pollen avant de se rétracter et de les amener ainsi « dans » l’ovule. Selon les genres, le dispositif peut varier : chez les sapins, le micropyle en forme de long canal ne fabrique pas de gouttelette mais juste une sécrétion collante ; chez les mélèzes, la gouttelette se forme après le dépôt du pollen ; les araucariacées n’en fabriquent pas car le tissu de l’ovule (nucelle) déborde hors du micropyle. Chez d’autres conifères, des substances visqueuses sont émises autour de l’évolue et pas directement par le micropyle. Ce dispositif n’a été découvert qu’assez récemment (Vaucher, 1841) car on pensait que comme l’ovule était nu (voir ci-dessous), il n’y en n’avait pas besoin. On peut observer ces gouttelettes assez facilement sur les conifères arbustes comme les genévriers ou des conifères d’ornement mais chaque gouttelette est éphémère. D’ailleurs, souvent le processus ne se met en place que par temps humide (voir aussi ci-dessus l’eau sur les écailles) comme chez les ifs car sinon les gouttelettes s’évaporent. De ce point de vue, il se pourrait que la crise climatique en cours ait un impact non négligeable sur l’efficacité de la pollinisation des conifères ? 

Micropyles ouverts sur un cône de thuya d’Orient

Pas pressés 

Les cônes du séquoia géant restent des dizaines d’années sur l’arbre, le temps de mûrir et d’attendre une opportunité pour libérer leurs graines

La suite de l’histoire est assez déconcertante et pleine d’imprévus. Classiquement, le grain de pollen qui a été ainsi introduit dans l’ovule germe en élaborant un tube pollinique qui s’allonge en se ramifiant pour aller jusqu’à la rencontre du noyau sexuel de l’ovule. Mais après son entrée dans l’ovule, le tube pollinique va entrer dans une longue période de « repos » relatif car le développement de l’ovule investi est très loin d’être terminé. S’en suit donc une période pouvant aller de quelques mois chez les épicéas à plus d’un an chez certains pins pendant laquelle le tube pollinique s’allonge tout doucement, se frayant un passage en digérant les tissus traversés de l’ovule. On considère que ce faisant le tube pollinique du grain germé fonctionne comme le suçoir d’une plante parasite (haustorium) (voir l’exemple des cuscutes). Une fois cette lente maturation effectuée, le noyau du grain de pollen se divise en deux et donne deux cellules qui migrent vers le bout du tube et se déversent dans l’ovule ; pour autant, il n’y aura pas de double fécondation comme chez les plantes à fleurs (formation d’un cellule-œuf et d’une cellule à l’origine du tissu nourricier ou albumen) : un seul des deux noyaux va féconder le noyau de l’ovule et donner une cellule-œuf à l’origine du futur embryon. 

Mais là encore, l’embryon ne se forme pas de suite ; la cellule-œuf engendre un massif cellulaire qui s’allonge (suspenseur) et enfonce la cellule fécondée dans l’ovule ; un proembryon se forme avant le véritable embryon, la future jeune plantule. Dès la seconde année qui suit cette fécondation, les écailles du cône se resserrent, s’agrandissent et se durcissent en se soudant.

Dans deux familles des conifères, les Pinacées et les Podocarpacées, les grains de pollen présentent une caractéristique frappante (au microscope) : deux sacs latéraux remplis d’air de chaque côté du grain et surnommés ballonnets aérifères : la couche supérieure du grain (exine) se soulève latéralement et se remplit d’air. Évidemment, on pense tout de suite à une adaptation à la pollinisation par le vent (voir ci-dessus) puisque ces structures abaissent forcément la densité des grains et améliorent leur vélocité dans l’air. Mais il semble bien que l’intérêt principal de ces ballonnets soit ailleurs. En effet, ils permettent aux grains de flotter à la surface d’une goutte liquide. Or, justement, les conifères concernés sont ceux qui émettent une gouttelette de pollinisation et ont des ovules en position inversée, le micropyle dirigé vers l’axe du cône. Des expériences montrent que des grains à ballonnets sont plus facilement conduits vers les ovules que ceux qui en sont dépourvus où ils se retrouvent ainsi concentrés grâce à leur capacité de flottaison dans la gouttelette. De plus les ballonnets orientent le grain dans une position adéquate pour assurer la pollinisation : le tube pollinique issu de la germination du grain se retrouve en face de l’ovule. 

Graines ailées 

Une fois l’embryon élaboré, nous arrivons au stade final : l’ovule est devenu une graine … comme chez les plantes à fleurs qui partagent avec les conifères le statut de plantes à graines ou spermatophytes. Cependant, chez les Conifères, l’ovule ne grandit pas après sa fécondation et la graine restera de la taille de l’ovule initial. Cet embryon possède une radicule et une tige miniature (hypocotyle) et de nombreux cotylédons allongés. Ainsi, les plantules de pins se démarquent par leur port de « petit sapin nain » avec leur bouquet de cotylédons en aiguilles.

Chez de nombreux conifères avec des cônes secs ligneux classiques, les graines sont dotées d’une aile membraneuse plus ou moins développée, soit d’un côté, soit tout autour de la graine. Cette aile est élaborée par la partie amincie de l’écaille du cône. Ces graines ailées sont dispersées par le vent selon le processus de l’anémochorie (voir la chronique générale) : c’est le cas chez de nombreuses pinacées : pins, mélèzes, sapins, épicéas, … Grâce à ce dispositif, ces arbres se comportent en essences pionnières capables de coloniser à distance de nouveaux sites à la suite d’une perturbation (tempête, incendie, …). Souvent, les graines ne vont pas très loin, interceptées par les canopes persistantes des autres arbres mais les modèles de simulation montrent que quelques rares évènements de dispersion à longue distance (fort coup de vent) permettent une dispersion efficace et la colonisation de sites éloignés. 

Jeune épicéa installé sur une falaise rocheuse : il a réussi à s’installer ici grâce à sa graine ailée transportée par le vent

Mais pour que l’anémochorie se mette en place, il faut que les cônes s’ouvrent et libèrent les graines prisonnières entre les écailles fermées jusque-là (voir ci-dessus). Les écailles ligneuses bougent en réponse aux changements d’humidité : elles tendent à s’écarter quand il fait sec et alors permettent le décrochement des graines depuis une certaine hauteur. Inversement, par temps humide, elles se resserrent. Ces mouvements s’expliquent par l’existence de deux couches de tissus bien différents (cellules mortes) dans les écailles : une couche interne faite de fibres (sclérenchyme) groupées comme des câbles et une couche externe faite de sclérides plus gros et plus courts. Ces deux couches cellulaires renferment des microfibrilles de cellulose, orientées différemment, ce qui explique la courbure de l’écaille  en cas de dessèchement. 

Zoochores

Pour d’autres Conifères la dispersion des graines se fait via des animaux selon deux processus très différents. Les « cônes charnus » (voir ci-dessus), de taille très réduite et avec une seule graine en général, sont consommés par des oiseaux frugivores qui rejettent les graines dures intactes dans leurs excréments (endozoochorie : voir la chronique générale).  

Les cônes ligneux produisant des grosses graines, chargées en réserves nutritives, sans ailes ou avec une aile hyper réduite, sont consommées par des animaux, rongeurs ou oiseaux, qui savent traiter les cônes pour les en extraire et les consommer. Mais ces mêmes animaux, sous les climats froids notamment, tendent à faire des provisions en vue de l’hiver et du manteau neigeux qui rend l’accès impossible à leur nourriture, en cachant les cônes ou les graines dans des cachettes au sol ou dans des abris (fentes, fissures, …) et dont ils mémorisent les emplacements (ectozoochorie). Mais comme ils ne les consomment pas toutes en hiver ou qu’ils en perdent ou en oublient (ou qu’ils disparaissent eux-mêmes au cours de l’hiver), une petite partie de ces graines va échapper à la prédation et germer après avoir été déplacée et en plus souvent placée dans un site propice incidemment à sa germination. C’est le cas dans nos montagnes du pin cembro qui a tissé un étroit mutualisme avec un oiseau corvidé, le casse-noix moucheté, spécialisé dans la consommation de ses graines.

Casse-noix moucheté en train de récolter les graines de cônes d’arole ou pin cembro. C.C. 4.0. John Gould. The birds of Great Britain. Volume III. London, 1873
Cône d’arole défoncé par un casse-noix : noter la coque dure des graines qui ont été extraites et l’absence d’ailes autour de ces graines. Cliché Gehrard Elsner C.C. 3.0.

On pense aussi que le pin parasol, arbre méditerranéen bien connu pour ses grosses graines délicieuses, les pignons, a plus ou moins profité d’un certain mutualisme avec un agent de dispersion à grande échelle, … l’espèce humaine depuis les temps néolithiques. 

Retrouvez l’ensemble des chroniques sur les conifères sur ce lien.

Bibliographie

A handbook of the world’s conifers Tomes 1 et 2.A. Farjon. 2010 Ed. Library of Congress. 

Simulated and empiric wind pollination patterns of conifer ovulate cones KARLJ.NIKLAS Proc.Nat Acad.Sci.USA Vol.79,pp.510-514,1982

Conifer ovulate cones accumulate pollen principally by simple impaction James E. Cresswell et al. PNAS, 2007 ; vol. 104 no. 46 

Flotation preferentially selects saccate pollen during conifer pollinationAndrew B. Leslie New Phytologist (2010) 188: 273–279 273

How pine cones open Colin Dawson, Julian F. V. Vincent NATURE | VOL 390 | 18/1997