La carrière de Fradet avant le chantier de restauration

23/03/2023 Tous les usagers de la D223 qui relie Aigueperse à Combronde en traversant Saint-Myon la connaissaient sans forcément l’avoir « perçue » : une ancienne carrière au bord de la route dans le virage avant de s’engager sur le pont qui franchit la Morge. Jusqu’à cette année, on ne faisait que la deviner car, abandonnée depuis un bon moment, elle avait été reconquise par une haute végétation de lierres et d’arbres qui cachaient le front de taille imposant. Un projet de réhabilitation de cet espace géologique et paysager a été entrepris par la commune d’Artonne avec la collaboration du Conservatoire des Espaces Naturels (CEN) ; ce jour, avait lieu un chantier de réengazonnage « écologique » du nouvel espace dégagé devant le front de taille.

Le front de taille de la carrière avant le chantier

Roche « exotique »

Maison de St Myon : sur un ancien pignon en calcaire on a rehaussé avec de la migmatite rouge locale

Quand on circule dans les rues du village de Saint-Myon, juste mitoyen de la carrière, on est frappé de voir dans les murs des vieilles maisons, en plus du très classique calcaire blanc ou beige, la roche dominante en Limagne, une roche rouge sous forme de pierres aux formes souvent irrégulières et anguleuses. Cette roche n’affleure que sur une petite surface à cheval sur les communes de St Myon et Artonne comme on le voit bien sur cet extrait de la carte géologique locale.

En rouge et vert : le horst de St Myon ; en jaunes et bruns : les terrains sédimentaires.
Carte géologique (site géoportail)

Elle forme ce qu’on appelle le horst de St Myon, un bloc soulevé le long d’une série de failles (traits noirs ou pointillés sur la carte) et qui « surgit » tel un corps étranger au milieu d’un « océan » de roches sédimentaires (calcaires, marnes et dépôts). Ce horst se compose de roches dites cristallines métamorphiques : des migmatites (de migma, mélange ; ne pas confondre avec magma !) issues d’une transformation très poussée (pression et température) à de très grandes profondeurs d’anciens granites. Elles différent nettement des roches calcaires et marneuses dominantes dans la région par leur composition chimique, notamment par une bien moindre richesse en calcium mais, par contre, une grande richesse en silice absente des calcaires.  

Carrières

Ces migmatites sont parcourues d’un important réseau de cassures ou diaclases qui s’entrecroisent et découpent cette roche massive en autant de blocs. L’eau qui s’infiltre le long de ces fissures et les racines des plantes, dont les arbres, qui s’y insinuent participent à dégrader cette roche depuis la surface : ainsi se forment des sols à base de grains sableux acides (quartz), proches des « gores » (nom local) issus de la décomposition des granites en Combrailles toute proche .

Le cortège végétal qui se développe sur de tels sols est très différent de celui du calcaire : ceci apporte à ces deux communes une richesse de biodiversité végétale (et animale associée) presque « double » de celle de la majorité des communes entièrement sur du marno-calcaire. En plus, ces migmatites sont parcourues de grands filons de microgranite, une autre roche cristalline qui se décompose différemment et accroît la diversité des milieux.

En profondeur, l’érosion affecte moins ces roches dures et compactes et les anciens n’ont pas manqué évidemment d’exploiter une telle ressource à une époque où l’on construisait tout en « roches locales » par la force des choses. Par contre, ces migmatites ont l’inconvénient de ne pas se prêter à la taille et donnent des blocs très irréguliers : il n’y a pas de strates comme dans une roche sédimentaire.

Une partie des « falaises » de Cacherat le long de la Morge

Ainsi, autour de ces deux villages ont été exploitées plusieurs carrières : les plus imposantes sont celles dites de Cacherat, en amont du pont sur la rive gauche de la Morge sur presque un kilomètre de long et qui montent en direction de la Croix des Rameaux d’Artonne : un site remarquable par son aspect paysager et sa biodiversité (voir par exemple le criquet des garrigues ou le mibora nain). La carrière de Fradet près du pont sur la Morge, objet de cette chronique, est dans la continuité de ces grandes carrières et, derrière elle, il y a d’ailleurs une autre carrière complètement engloutie par la végétation. La commune d’Artonne a donc acquis les terrains englobant ces carrières annexes pour les mettre en valeur et les protéger de la destruction par des projets de dépôts de gravats. Les travaux et l’acquisition de la parcelle ont été financés par le plan de relance géré par l’Office Français de la Biodiversité.

La carrière de Fradet avant le remblaiement (été 2022) : le front de taille a été ravivé

Renaissance du front de taille

Le premier objet du projet de réhabilitation était de dégager le front de taille de cette carrière, caché donc par les arbres et presque entièrement recouvert de lierres grimpants (voir la chronique) qui escalade aussi bien les rochers que les arbres. L’essentiel des arbres étaient des robiniers faux-acacia (voir la chronique) et des ailantes (voir la chronique), deux espèces connues pour leur capacité à se propager par rejets depuis leurs racines. En 2022, on a d’abord abattu tous ces arbres en conservant un rideau d’acacias qui protège de la route avant de décaper et d’égaliser le fond de la carrière. Désormais, le front de taille « rajeuni » apparaît dans sa presque totalité et on peut admirer sa structure de diaclases et les nuances infinies des couleurs des migmatites et microgranite. Un panneau informatif viendra bientôt apporter des informations sur la géologie du site.

L’autre but était de fournir aux marcheurs qui empruntent les circuits de petite randonnée (très prisés) parcourant les deux communes un passage permettant d’éviter d’avoir à longer la départementale très passante pour rejoindre le pont et traverser la Morge (voir la chronique sur le site naturel sous le pont et le circuit de promenade du val de Morge). Un cheminement a donc été créé et serpente devant le front de taille.

Carrière après aménagement du chemin et remblaiement avec de la terre noire

Dernier objet de cette réhabilitation : restaurer la biodiversité et « compenser » en quelque sorte la destruction du milieu antérieur qui, même s’il était peu accueillant pour le grand public, n’en avait pas moins son lot de biodiversité. Dans cet objectif, le fond de la carrière a été remblayé avec de la terre d’un chantier d’Aigueperse : de la terre noire fertile.

Semer une prairie

Hormis les « épillets » de graminées sauvages, noter les fruits un peu verts du sainfoin et un calice sec brun de labiée sauvage (sauge ?)

Le projet vise à reconstituer sur cet espace remblayé de terre une prairie naturelle fleurie à partir de semences de fleurs sauvages locales récoltées par le CEN. L’an dernier, sur le site du plateau de Gergovie au sud de Clermont-Ferrand, une prairie naturelle fleurie a donc été fauchée juste après que la majorité des plantes y aient produit leurs graines et avant que celles-ci ne tombent ou soient dispersées. A l’aide d’un engin fabriqué sur mesure en collaboration avec un lycée technique agricole, une brosseuse, on sépare ensuite les « graines/fruits » du foin coupé. Les graines sont chauffées dans un séchoir mécanique afin de pouvoir les conserver.

Ce mercredi 22 mars, le grand jour est arrivé pour semer la précieuse récolte sans cultivars ou espèces introduites. Une équipe de dix jeunes de la Maison Familiale de Thuret en section Paysages et espaces verts, encadrée par leur professeur A. Rouchonnat, est venue prêter main forte et va assurer la préparation du terrain avant de semer. Tim Ream, conservateur bénévole de l’Espace Naturel Sensible du val de Morge dans lequel s’insère ce site nous rejoint.

Avec patience, le sol est griffé, émotté, égalisé ; les pierres dégagées à cette occasion sont mises de côté et transportées à quelques dizaines de mètres de là au pied d’une ancienne murette en pierre sèche. Dans quelques semaines, un nouveau chantier de reconstitution de celle-ci aura lieu, encadré par un murailler, J. Chevarier, et sera l’occasion aussi de former des personnes locales intéressées à cette géniale technique si favorable pour la biodiversité (voir la chronique).

Murette à réhabiliter

Romain Legrand, élu d’Artonne et salarié du CEN, ouvre donc les deux grands sacs pleins de « graines des prés » venus de Gergovie. Nous inspectons avec curiosité ce précieux butin dont il émane un délicat parfum de foin séché : on y voit surtout des « fruits/graines » de graminées sauvages (des brachypodes, des avoines élevées et sans doute bien d’autres) mais aussi des « crêtes-de-coq », les fruits du sainfoin, des capsules de lins, des calices secs de labiées, … Quatorze kilos de ce mélange sont ainsi semés à la volée puis le sol est de nouveau griffé avant d’être roulé … comme pour un gazon classique. La chance sera peut-être avec le projet car de la pluie est annoncée. Il ne reste plus qu’à attendre la levée et l’installation attendue de toutes ces plantes locales sauvages qui offriront ainsi aux pollinisateurs locaux une ressource inestimable. A suivre donc …

Colonisation en cours

Il reste une partie du lierre d’origine accroché à la paroi

Sur le front de taille dégagé cet hiver, les plantes locales n’ont pas attendu pour s’installer ou ressortir. Une rapide inspection permet de dresser un premier inventaire de la flore déjà en place sachant que ce ne sont que les avant-gardistes : la lumière qui désormais inonde les parois va permettre l’expression de la flore locale des milieux rocheux (flore saxicole ou rupicole) bien représentée très près d’ici sur plusieurs talus rocheux le long de la D223 et sur la route de Bougerol.

Vers la base, on trouve des plantes « opportunistes », pas vraiment spécialistes des rochers, mais qui profitent du retour de la lumière et de la terre retournée : le gaillet grateron (qui risque de proliférer …), le fumeterre officinal, des coquelicots, le réséda jaune, des alliaires (rescapées de l’ex-sous-bois), des valérianelles (la mâche sauvage), quelques rosettes de bouillons-blancs et de vipérines déjà imposantes, une colonie d’achillée millefeuille installée sur un replat : autant de promesses de belles floraisons,….

Mais il y a aussi des espèces plus spécialisées que l’on retrouve sur les talus dénudés ou les vieux murs : épiaire dressée, tabouret perfolié (voir la chronique), lamier à feuilles embrassantes (voir la chronique), sabline à feuilles de serpolet, géranium à feuilles rondes, …

Nous espérons que vont s’installer assez rapidement des spécialistes moins ordinaires comme les hélianthèmes des Apennins, les œillets des Chartreux (voir la chronique), les muscaris à grappes et à toupet ou les potentilles printanières présents sur le talus voisin en direction de la murette.

Nous vous tiendrons au courant de l’évolution de ce site expérimental original.

Un grand merci aux jeunes de la Maison Familiale qui ont bien transpiré sur ce chantier.