Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. Le site choisi se situe sur le territoire de l’Atlas de Biodiversité Territorial initié par la Communauté d’Agglomération Riom, Limagne et Volcans (RLV) en collaboration, entre autres, avec la LPO Auvergne et le Conservatoire d’Espaces Naturels d’Auvergne.

Retenue d’eau en amont d l’étang des Prades, alimentée par le Chambaron que l’on remonte jusqu’à source de la Vachère

12/04/2022 Le site de la vallée de Prades sur la commune de Châtelguyon où nous nous rendons s’inscrit dans le cadre d’un accident géologique majeur : la faille de Limagne dont voici la présentation sur le site Chaîne des Puys/Faille de Limagne Patrimoine mondial UNESCO : « Âgée de 35 millions d’années, alignée parallèlement à la Chaîne des Puys, elle s’étend sur près de 30 km de long, depuis Enval jusqu’à Ceyrat en passant par Sayat et Royat. Sorte de mur végétal de 700 mètres de haut, elle marque la séparation entre le plateau des Dômes et la plaine de Limagne. » Elle se poursuit en fait plus au nord d’Enval jusqu’au-delà de Châtelguyon où elle sépare la plaine marno-calcaire du plateau granitique des Combrailles. Ce décrochement brutal impose un gradient d’altitude remarquable : ainsi, pour la vallée des Prades où nous allons nous rendre, on passe de 430m à l’étang des Prades à 700m près du Bournet où le ruisseau le Chambaron prend sa source en à peine 1,5km à vol d’oiseau. On passe donc d’une plaine chaude à une ambiance presque montagnarde sur le versant nord encaissé de cette vallée.

Le Chambaron, site de nidification du cincle plongeur et de la bergeronnette des ruisseaux

L’autre conséquence de la faille et du décrochement associé a été de susciter la naissance de ce qu’on appelle par ici un « pays coupé » : une série de vallées orientées parallèlement ouest-est, perpendiculairement à la faille bordière. La vallée des Prades où coule le Chambaron, grossi par sa confluence avec le ruisseau des Grosliers en est un exemple typique tout comme la vallée du Sans-Souci où coule le ruisseau de Romeuf toujours sur la commune de Châtelguyon ou les remarquables gorges de l’Ambène sur la commune d’Enval. 

Lit rocheux et caillouteux avec des ilots de place en place

Le circuit emprunté part de l’étang des Prades par le chemin des Prades et remonte jusqu’au site de la source de la Vachère et revient un peu plus haut sur le même versant : le descriptif et le plan joints avec des points de repère numérotés (repris en légende des photos et dans le texte) est téléchargeable en pdf ci-dessous. La flore décrite concerne essentiellement la première partie qui longe le Chambaron jusqu’à la source de la Vachère. 

Un petit air de montagne

En remontant le ruisseau on remonte le gradient d’altitude (voir ci-dessus) qui, conjugué avec l’encaissement du ravin et la position en versant nord, créé un microclimat de tendance montagnarde bien que l’on soit encore dans l’étage collinéen supérieur (en-dessous de 700m). Effectivement, on trouve ici quelques espèces non pas strictement montagnardes mais dont l’optimum se situe bien à cet étage et qui descendent ici à la faveur de cette situation originale. Déjà, la présence massive du sapin blanc, introduit mais qui se développe bien ici en individus parfois imposants dignes de ceux du Sancy : ici, grâce à l’ambiance, il résiste encore bien au dérèglement climatique car dans le massif autour il connaît un très fort dépérissement lié aux sécheresses et canicules successives des dernières décennies. On le repère à son tronc clair (d’où le nom de sapin blanc) et aux aiguilles plates sur deux rangs avec deux lignes blanches dessous. 

La première surprise s’observe facilement au niveau d’une grande station de renouée de Japon sur la droite (1) : des feuilles rappelant furieusement celles du tussilage mais plus grandes et très blanches dessous ; surtout, il reste encore une inflorescence blanchâtre élevée qui a fleuri avant l’apparition des feuilles : le pétasite blanc ou dravasse, dont c’est à notre connaissance la station la plus basse de la région ? Au bord du ruisseau en 2, des feuilles vert foncé triangulaires signent la renouée bistorte bien connue dans les prairies de montagne (voir la chronique).

Feuilles de bistorte au bord du ruisseau (avec les pervenches, les anémones des bois, les ficaires, ..)

Plus on s’approche de la source de la Vachère (5), plus on découvre des colonies de grosses feuilles veloutées très douces au toucher : le doronic tue-panthères qui fleurira en juin en donnant des grandes « marguerites jaunes » ; il descend jusqu’à 400m dans la plaine sur les bords du Chambaron et de la Morge dans laquelle il se jette. 

Colonie de doronic tue-panthères : feuilles veloutées en forme de coeur à la base

Juste avant la source (5), sur la droite un arbuste bas forme un massif buissonnant d’un beau vert dont les feuilles ressemblent à celles des merisiers, abondants ici : mais les nervures forment un dessin différent et si on frotte les jeunes rameaux, ils répandent une odeur forte désagréable (dite fétide) : le merisier à grappes ou bois puant ; il fleurira d’ici un mois et donnera des grappes dressées de fleurs très différentes des bouquets de fleurs des merisiers déjà fleuris pour leur part. il est assez répandu sur le plateau des Combrailles mais très rare en plaine. 

Massif buissonnant de merisier à grappes au-dessus de la source de la Vachère

Sur la pente plus sèche qui surplombe le ravin (7) ; sous une chênaie rabougrie, on note des tapis d’une herbe en grosses touffes de feuilles larges d’un beau vert franc (pour celles qui viennent de sortir) : la grande luzule reconnaissable à ses feuilles bordées de fins poils blancs ; elle est déjà fleurie avec ses inflorescences rappelant celles des joncs, ses proches cousins (famille des joncacées).  

Enfin, parmi les diverses fougères qui peuplent ces bois, une espèce rare en plaine domine avec ses imposantes touffes d’un vert foncé presque coriaces qui ont passé l’hiver : elle peuple les flancs du ruisseau et du ravin (3 ; 5 ; 6 ; 7) parfois en peuplements de plusieurs dizaines de touffes : le polystic à aiguillons, nettement plus rare en plaine. 

Colonie de polystic à aiguillons sur un talus surplombant le ruisseau ; elle a passé l’hiver ainsi.

Trois notes de fraîcheur

La première vague des floraisons de printemps bat son plein et entre même dans son déclin en cette mi-avril : anémones, isopyres, pulmonaires, pervenches, ficaires, muscatelline (très abondante ici) ; nous les avons évoquées et illustrées dans le zoom-balade du pont de César au bord de la Morge. Ici, toujours à la faveur du microclimat plus frais, nous avons d’autres floraisons printanières chacune avec son éclat propre.

Sur la station de pétasites blancs (voir ci-dessus ; 2), plusieurs belles touffes de primevère élevée éclairent la scène de leur belle teinte jaune soufré, bien différent du jaune orangé de sa cousine très connue, la primevère officinale ou coucou nettement moins forestière ; on en retrouve plus haut çà et là le long du ruisseau.

Au plus près du ruisseau, une colonie de dorine côtoyant le polystic à aiguillons

Au milieu du ruisseau sur les gros cailloux ou petits ilots, sur le revers des berges, sur le chemin là où suintent des écoulements, on remarque des tapis très bas d’une petite plante vert franc aux ombelles plates de petites fleurs jaune d’or ; en dépit de sa petite taille, la dorine à feuilles opposées sait se faire remarquer par sa propension à vivre les pieds dans l’eau vive comme au niveau de la source de la Vachère (6) où elle prospère. Elle appartient à la famille des saxifrages. 

Oxalis acétoselle

Mais la plus fraîche de toutes reste bien le pain de coucou ou oxalis acétoselle hyper présente le long du ruisseau où elle s’installe en masses sur les vieux troncs pourris moussus, sur les souches en décomposition ou au pied des vieux arbres, toujours au plus près de l’humidité et en des lieux très ombragés. Sa fraîcheur s’exprime tant par son feuillage de « faux trèfle à quatre feuilles » d’un vert tendre, par ses fleurs en clochettes blanches striées de mauve que par son goût très acidulé : elle ne s’appelle pas acétoselle pour rien.

La deuxième vague qui monte 

Et puis, le printemps avançant à grands pas désormais, une seconde vague de floraisons se prépare : il faut apprendre à repérer ces fleurs en devenir qui émergent et commencent à se déployer. Sur les bords du chemin (1,3), des feuilles très finement découpées signent une ombellifère, le conopode dénudé ou noix de terre (voir la chronique) qui va fleurir en mai-juin. Sa cousine, la sanicle (8), étale ses rosettes de feuilles grossièrement lobées et dentées ; elle fleurira en juin.

Le ballet des sceaux-de-Salomon en déploiement au milieu des pervenches

Au bord du ruisseau (2), des tiges dressées bleutées déploient leurs feuilles une à une en décrivant une courbe gracieuse ; on aperçoit sur certaines des boutons floraux blancs pendants : le sceau-de-Salomon multiflore, cousin du muguet, ne va pas tarder à fleurir. Au départ du sentier, sur le talus à gauche, un groupe de rosettes charnues luisantes attire l’attention car certaines portent des taches noires : ce sont des orchis mâles, une des orchidées forestières assez communes qui va fleurir à partir de la mi-mai (ici)

Les fougères mâles (qui ne fleurissent pas, elles), contrairement au polystic à aiguillons (voir ci-dessus) ont perdu leurs feuilles de l’an passé, sèches couchées au sol : de nouvelles feuilles toutes tendres émergent (4,5,6) en forme de crosse étroitement enroulée, typique et propre aux fougères. 

La vague touche aussi les arbres au niveau du débourrement des feuilles et nous apporte un beau festival de pousses tendres en pleine explosion végétale. Les châtaigniers (8) ouvrent leurs gros bourgeons à deux écailles jaunâtres d’où pointent les petites feuilles dentées typiques : on est encore très loin des grandes feuilles à venir.  Au bord du ruisseau en amont de l’étang (1), un arbre intrigue : ses feuilles composées de folioles en éventail nous disent tout de suite quelque chose : eh oui, il s’agit bien du marronnier qui se naturalise (devient sauvage en quelque sorte) dans les vallons à partir des arbres cultivés ; il retrouve ici son milieu originel : les vallées alluviales des montagnes des Balkans (voir la chronique). Vers la source de la Vachère (5,6, 7), le vert tendre et velouté des tilleuls à grandes feuilles illumine la strate arbustive du sous-bois encore vide : on a envie de les caresser. Même les sapins (7,8) voient leurs bourgeons au bout des rameaux gonfler : ils ne vont pas tarder à déplier leurs aiguilles vert pomme qui tranchent avec les anciennes, vert foncé. Le camérisier, un chèvrefeuille arbustif non grimpant, a lui déjà sorti complètement son feuillage tout doux (7) comme un groseiller déjà en fleurs (3) : identifiez-le d’après la photo en relisant le zoom-balade du pont de César où les trois espèces de notre région sont présentées (g. alpin, g. à maquereaux et g. rouge) ; la réponse se trouve à la fin de la chronique. 

Un groseillier, oui mais lequel ?

Un air de forêt primaire

Cette forêt communale n’est pas gérée comme une forêt de production mais avant tout comme un site de récréation très apprécié des locaux et même au-delà : les arbres y sont peu ou pas exploités et y vivent leur vie pleine et entière jusqu’à leur mort. Les épisodes récents de sécheresse et canicule ainsi que les tempêtes et gros coups de vent ont causé une certaine mortalité dans ces peuplements. Ainsi, dans cette forêt, on trouve un volume de bois mort remarquable et de toute beauté : oui, de toute beauté, car le bois mort dans une forêt, est un « compartiment » essentiel pour la bonne santé et la conservation de la biodiversité (voir la chronique).

En se décomposant, d’une part, il enrichit le sol via le recyclage de la matière organique et surtout il héberge une incroyable faune de consommateurs de bois mort (insectes dits xylophages) et de décomposeurs (cloportes, vers, mille-pattes, collemboles), sans oublier les omniprésents champignons « mangeurs de bois » dont les gros polypores.

Ici, on est gâtés en la matière avec des troncs morts partout, et notamment en travers du ruisseau où ils forment des « jungles » inextricables, des arbres morts sur pied, des arbres déracinés couchés (chablis), des arbres cassés (volis) : toute la palette de bois mort qui, en fait, devrait être celle présente normalement dans toutes les forêts naturelles.

Une vraie forêt naturelle, ça ressemble à ça ; rien à voir avec les forêts gérées, nettoyées, exploitées où le bois mort est rare

Ainsi, le ravin de la Vachère (de 4 à 7) rappelle vraiment par endroits des ambiances de forêts primaires, i.e. de forêts anciennes non exploitées depuis des siècles. N’allez donc surtout pas dire « oh, que ce n’est pas beau ; il faut nettoyer tout ça ». Non, surtout pas, c’est indispensable à la vie de la forêt et ça grouille de vie. 

Les mousses colonisent vite les troncs au sol et créent des manchons vivants qui entretiennent l’humidité ce qui accélère la décomposition. Diverses plantes dont des fougères, les pans de coucou (voir ci-dessus) mais aussi les lamiers jaunes ou les géraniums herbe-à-robert s’installent ainsi, donnant naissance à de oasis végétales du plus bel effet sur les troncs suspendus au-dessus du ruisseau.   

Colonie de lamier jaune (feuilles tachées de blanc argenté) installée sur du bois pourrissant

La vie animale du bois mort attise des convoitises et les pics exploitent volontiers ces arbres morts riches en larves dont celles des scolytes qui ont creusé des galeries sous l’écorce alors que l’arbre entrait en dépérissement. Le pic noir, le plus grand de nos pics, règne en maître ici (plusieurs couples nichent dans le massif de Châtelguyon) : ses traces ne manquent pas avec des troncs morts éventrés et les grands copeaux qui ont voltigé autour. 

Arbres surprenants 

Au fil de la balade, au-delà des espèces nombreuses, on est régulièrement « happé » par des individus étranges pu porteurs de bizarreries qui interrogent. 

Deux troncs de frêne enlacés dans un baiser torride : aussi réussi que la sculpture de Rodin ?

En remontant le ruisseau au point 2, on tombe sur deux gros troncs issus d’une même souche qui se dressent côte à côte et se sont partiellement soudés l’un à l’autre en deux points, développant une sorte d’expansion de l’écorce qui entoure le voisin dans un baiser torride ; c’est ce qu’on appelle des entretoises ou renforts naturels entre troncs, un processus fascinant et méconnu auquel nous avons consacré une chronique. Un peu plus loin (3) au bord du chemin, une scène inédite apparaît : deux petits arbres là encore côte à côte qui « s’embrassent » : un conifère qui se soude à un feuillu ; les arbres ne sont pas sectaires.

L’érable champêtre (à gauche) a du frotter une branche latérale sur le tronc de ce sapin qui a réagi en l’englobant

Encore un peu plus haut, vers le ruisseau, un conifère s’est couché complètement au sol tout en restant ancré par ses racines ; ceci lui a permis de repartir en élaborant trois nouveaux troncs verticaux sur le tronc couché encore vivant, une capacité de résilience inouïe propre aux arbres (voir la chronique sur ce qu’on appelle les réitérations). 

L’incroyable résilience d’un épicéa complètement couché qui a réitéré plusieurs nouveaux troncs verticaux

Certains sapins portent une énorme excroissance boursouflée à faible hauteur : ce sont des chancres dont la cause est souvent bactérienne ; cette anomale les fragilise et les rend plus sensibles à la cassure en cas de coup de vent.

Chancres béants sur des sapins

Peu après la source de la Vachère (7) dans le ravin en contrebas se dressent plusieurs grands tilleuls élancés, assez jeunes reconnaissables à leur feuillage naissant (voir ci-dessus) et à la teinte gris argenté et les gerçures en long sur le tronc. Si vous avez des jumelles, scrutez ces troncs de bas en haut : par endroits, on voit des alignements de « trous » ou marques losangiques serrées mais creuses : ce sont les traces du travail d’un pic (probablement un pic épeiche) qui a percé ces trous pour provoquer l’écoulement de la sève sucrée qu’il lèche (voir la chronique détaillée sur ce surprenant processus) ; un bon complément alimentaire que ces pics exploitent au printemps juste avant de se lancer dans l’éprouvante période d’élevage des jeunes. 

Sur le versant plus sec (8), le chèvrefeuille des bois, grimpant contrairement à son cousin le camérisier (voir ci-dessus) s’enroule autour des jeunes arbres pour accéder à la lumière ; il serre parfois tellement fort qu’il « étrangle » le jeune arbre en croissance qui n’a d’autre choix que de « déborder » l’importun, donnant cette allure vrillée au tronc (voir la chronique sur ce processus). 

Chèvrefeuilles des bois en cours d’engloutissement par ce jeune arbre

Enfin, pour vous récompenser de vos efforts et de votre attention, dans la longue traversée de la pinède-sapinière (8) deux superbes œuvres d’art 100% nature vous attendent : l’une à gauche en contrebas, un aigle (pygargue au vu de son bec) et l’autre, à droite en surplomb, un cobra déployant sa collerette. Ce sont des souches sculptées sur place à la tronçonneuse. Elles sont l’œuvre de Loïc Bertrand, agent forestier communal qui en a sculpté des dizaines d’autres dans la partie centrale de la forêt : voir la chronique/balade sur la forêt des souches sculptées

Réponse pour l’identification du groseillier : G. alpin (inflorescences jaunes dressées et courtes ; petites feuilles)