Les gros orages de fin juin ont rempli la mare et rendu la végétation luxuriante : une vraie oasis

06/07/2022 Avec la chronique Préserver la mare des Chavades, nous avons présenté ce site naturel, son histoire et sa gestion dans le cadre du partenariat tissé entre le CEN Auvergne et la commune de St Myon où je réside. En tant que conservateur bénévole auprès du CEN Auvergne pour ce site, j’ai donc commencé un suivi naturaliste régulier de la mare et du communal immédiatement autour ; en complétant cet inventaire de la faune et de la flore, nous pourrons mieux en définir la valeur écologique et orienter éventuellement les choix de gestion futurs. Je vais donc présenter à travers une série de chroniques échelonnées sur les différentes saisons la faune et la flore, autrement dit la biodiversité, du site au fil de mes découvertes et observations. Cette chronique ouvre donc cette série et présente la faune observée au cours de trois visites approfondies réalisées fin juin/début juillet.

Le plus souvent, quand on parle de faune d’un site, le grand public pense tout de suite à « grosses bêtes » : oiseaux, mammifères, reptiles, … Bref, des vertébrés comme nous. Sur un site comme celui-ci, de surface très réduite et enclavé dans une zone habitée, cette « grosse » faune est très limitée et, de plus, difficile à observer car surtout nocturne pour la plupart. En fait, l’écrasante majorité des espèces animales de tels sites se compose de « petites bêtes », de « bestioles » ; ce sont les héros du superbe film d’animation Minuscule : insectes, mille-pattes, cloportes, araignées, escargots, vers, … (d’où le titre de la chronique). Leur observation demande patience et attention soutenue et leur identification au niveau des espèces est un exercice complexe souvent réservé à des experts spécialistes de tel ou tel groupe. Bienvenue donc au cœur de ce petit monde grouillant et multiforme de Minuscules qui peuple la mare et ses environs immédiats. 

NB Toutes les photos de cette chronique ont été prises au cours de mes trois visites fin juin/début juillet.

Le bal des libellules 

Évidemment, qui dit mare dit libellules et la mare des Chavades se montre prodigue en la matière. Rappelons que les larves de ces insectes vivent dans l’eau et s’y développent avant d’en sortir pour se métamorphoser en adultes volants (voir la chronique) : ceux-ci peuvent s’éloigner ensuite de la mare pour trouver des proies à chasser, le temps d’acquérir la maturité sexuelle ; mais ils y reviennent au moment des accouplements et des pontes qui se font dans l’eau ou sur les plantes aquatiques. Les mares représentent donc des milieux clés indispensables (voir la chronique sur l’importance des mares pour les libellules) pour la reproduction des espèces liées aux eaux stagnantes ; au bord des rivières aux eaux vives, on trouve d’autres espèces différentes comme les Caloptéryx vierges aux ailes teintées de bleu (mâles) ou de brun roux (femelles) et communes au bord de la Morge non loin d’ici. 

On distingue deux grands types au sein de groupe nommé odonates par les scientifiques : les agrions ou demoiselles aux ailes repliées au-dessus du dos au repos (zygoptères : ailes jointes) et les « vraies » libellules qui, au repos, gardent les ailes étalées à plat (anisoptères).

Ischnure élégante (identifiée par R. Legrand du CEN)

Les premières sont de loin les plus nombreuses en ce début d’été : frêles et petites, elles restent malaisées à détecter, circulant au milieu de la végétation, mais se laissent assez facilement photographier. N’étant pas du tout spécialiste des libellules, je ne puis identifier avec certitude les espèces pour l’instant ; j’attends le verdict via des experts (odonatologues) du CEN pour préciser les noms d’espèces. En effet,  les agrions comptent de nombreuses espèces très proches ; de plus, mâles et femelles diffèrent souvent entre eux pour une espèce donnée ainsi que les individus fraîchement éclos par rapport aux plus anciens. 

Je pense pouvoir m’avancer sur une espèce avec quasi-certitude : le leste brun, reconnaissable à ses ailes transparentes étroites avec une tache brune allongée (ptérostigma) dans l’angle supérieur, son corps brun clair et son thorax avec deux bandes noires qui encadrent une bande brun clair. Terne, très discrète, elle recherche les endroits où s’accumulent des débris végétaux pour pondre : ici, elle a l’embarras du choix. Comme les adultes hibernent et se reproduisent au printemps, on la surnomme la brunette hivernale. Sinon, j’observe plusieurs mâles bleus d’agrions qui se ressemblent et des femelles verdâtres, mais sans savoir si elles relèvent d’une autre espèce.  

Ephémère adulte

Ne pas confondre ces demoiselles aux ailes transparentes avec les éphémères dont un superbe adulte fraîchement éclos se laisse tirer le portrait : elles ont un corps très différent et surtout de longs « fils » (cerques) au bout de l’abdomen. Leurs larves vivent aussi dans l’eau. 

Sympétrum à identifier

Côté « vraies » libellules, je n’observe que quelques sympétrums qui semblent fraîchement éclos : ce sont des libellules assez petites au corps rougeâtre à jaunâtre. Là aussi, il en existe au moins cinq espèces très proches, plus ou moins communes, : j’attends donc le retour d’identification pour préciser l’espèce. Elles se perchent bien en évidence avec de courtes incursions en vol ; l’une d’elles, perchée sur une feuille de massette joue à cache-cache avec moi quand je m’approche doucement.  Probable que des visites en fin d’été me permettront d’observer d’autres espèces qui émergent plus tard. 

Végétariens 

La végétation luxuriante cette année (il est tombé plus de 100mm en 3 jours fin juin et la mare est bien remplie) aiguise les appétits des insectes herbivores, dont les nombreux mangeurs de feuilles ou folivores.

Limnée succinie

On repère vite a minima des traces de consommation notamment sur les massettes aux feuilles tendres et un peu charnues. Au milieu de la mare inondée, sur des feuilles qui émergent de l’eau, des gros points noirs sont posés : ce sont de petits escargots d’eau douce du groupe des limnées (voir la chronique sur ces gastéropodes) spécialistes des eaux douces. Celles-ci, des succinies a priori, ont la particularité de passer l’essentiel de leurs activités hors de l’eau en grimpant sur les feuilles qu’elles rongent avec leur langue râpeuse ou radula ; la majorité des limnées, souvent bien plus grosses, restent dans l’eau au milieu de la végétation flottante. 

Sur les bords de la mare, des saules cendrés buissonnants en boules, des saules blancs en arbres et quelques jeunes frênes en pleine croissance attirent eux aussi leur lot d’herbivores. Il faut examiner lentement le feuillage en retournant un peu les branches pour voir dessous. Les plus voyants sont des coléoptères (voir la chronique sur ce vaste groupe) indolents, qui font penser grossièrement à des coccinelles allongées avec leur coloration rouge orange et leurs taches noires par deux : des clytres ; il s’agit ici de l’une des deux espèces communes : le clytre du saule. Ils grignotent doucement les feuilles et se tiennent sur le bord ; les femelles fécondées dans cette position pondent leurs œufs un par un, l’enrobent d’excréments qui se collent dessus et le laissent tomber au sol. Les fourmis qui circulent au sol les prennent pour de la nourriture et les emportent dans leur nid ; là, la larve qui éclot se protège avec l’étui de l’œuf et se nourrit de débris mais aussi d’œufs et larves de fourmis. Étonnantes mœurs de la part de ces pacifiques lourdauds qui illustrent la complexité des interactions que peuvent tisser les espèces entre elles au sein d’un écosystème donné comme cette mare. 

Galéruque du genre Luperus

Sur une feuille de saule cendré, je réussis à saisir un petit coléoptère de la même famille que les clytres (Chrysomèles Galéruques) qui compte des centaines d’espèces toutes herbivores ; je réussis en cherchant un peu à lui accoler un nom de genre, Luperus, mais pour l’espèce il faudrait le récolter … ce que je me refuse maintenant à faire. 

Jeune femelle de Conocéphale bigarré perchée sur un épi de laîche hérissée

Le groupe des sauterelles et criquets (orthoptères : voir la chronique sur ce groupe) renferme aussi de nombreux herbivores répandus. Au menu, ici, deux petites espèces de sauterelles (sous-groupe des ensifères ou « porteurs de sabre ») vertes.

Jeune mâle de sauterelle ponctuée

Sur un saule cendré, je trouve la délicate sauterelle ponctuée, finement tachetée de noir : ce sont encore des jeunes qui n’ont pas fini leur développement ; je vous invite à lire une chronique étonnante consacrée au mode de communication sonore de cette espèce. Et puis, sur une laîche hérissée, plante semi-aquatique, se tient une sauterelle au look vraiment décoiffant : une grande tête allongée avec des yeux saillants, de très, très longues antennes filiformes et au bout de l’abdomen un impressionnant « sabre » vert et noir : pas de panique, il ne s’agit que de l’organe de ponte ou ovipositeur qui est inoffensif. C’est une jeune femelle de conocéphale bigarré, une espèce assez répandue mais inféodée aux milieux semi-aquatiques. 

Il existe d’autres manières de consommer des végétaux sans les mâcher : ainsi, les pucerons piquent les tiges avec leur rostre et aspirent la sève élaborée (voir la chronique sur cette sève). Sur une touffe de cirse commun en bordure, des fourmis noires agglutinées accrochent mon regard : elles sont autour d’une colonie de pucerons qu’elles « traient » : elles tapotent les pucerons avec leurs antennes pour les inciter à libérer des gouttelettes de miellat qu’elles récoltent ; en retour, les fourmis protègent les pucerons de leurs ennemis. Bel exemple d’interaction positive donnant-donnant (voir la chronique sur les interactions). Sous des feuilles de massettes se tiennent des minuscules pucerons vert pâle blanchâtres ; ils sont inaccessibles aux fourmis, vu que les massettes ont les pieds dans l’eau ; par contre, ils sont facilement accessibles aux coccinelles prédatrices. Il s’agirait peut-être du puceron du prunier (Hyalopterus pruni) qui commence son cycle au printemps sur les pruniers avant de rejoindre les massettes en été. 

Galles en tous genres

Il est encore une autre forme très originale de consommer des végétaux : les galles, ces excroissances ou malformations induites par des insectes lors de la ponte et qui servent de sites d’abri et de nourriture aux larves : voir la chronique approfondie consacrée à ce processus des galles.

Saule cendré buissonnant au bord de la mare

Autour de la mare des Chavades, la présence de saules garantit de suite l’observation minimale de plusieurs de ces galles car ces arbres hébergent une foule d’espèces gallicoles (provoquant des galles). L’identification des espèces responsables, qui peuvent appartenir à des groupes d’insectes (ou d’acariens) très variés, peut se faire théoriquement d’après l’aspect de la galle mais, dans le cas des saules, il y a tellement d’espèces différentes que c’est très compliqué et hasardeux. Pour être sûr, il faut disséquer la galle et extraire les larves (si elles sont encore là) … ce qui revient à les détruire. Aussi, nous les présentons simplement telles que nous les avons observées. 

Sur le saule blanc, des galles ramifiées affectent les chatons (groupes de fleurs) avec un aspect buissonnant. D’autres touchent les feuilles : les unes donnent des « crises » rougeâtres visibles des deux côtés et sont probablement dues à de petites guêpes ou tenthrèdes ; les autres provoquent une forte déformation des feuilles qui s’enroulent. A chaque fois, il s’agit d’une espèce différente car ces interactions sont très spécifiques. 

Sur le saule cendré, on trouve surtout de grosses galles-cerises en forme de pustules sans doute aussi dues à des tenthrèdes ; d’autres provoquent un enroulement du bord de la feuille dans lequel se cachent les larves.  

Galle « foliole enroulée » sur un frêne

Sur les folioles des feuilles composées des jeunes frênes, on trouve des galles du même type : le bord s’enroule et s’épaissit, prenant souvent une couleur rougeâtre ; il s’agit très probablement de la galle d’un psylle (Psyllopsis fraxini), un insecte proche des pucerons et spécifique du frêne. 

Quelques églantiers ou rosiers sauvages colonisent les abords de la mare ; on y repère très facilement les énormes galles chevelues connues sous le nom populaire de bédégars (voir la chronique sur cette galle) et dues à de minuscules guêpes, des cynipidés (Diplolepis rosae) ; sur une feuille, je trouve une autre petite galle ronde rougeâtre très mignonne, elle aussi due à un cynipidé du genre Diplolepis ; comme il existe au moins 3 espèces jumelles capables de générer de telles galles, on en reste au genre. Par contre, ces galles en forme de gousse qui referment des folioles sur elles-mêmes sont dues à une petite mouche de la famille des Cécidomyies, Dasineura rosae

Et là nous n’avons qu’un tout petit aperçu de cette diversité foisonnante des galles sans oublier que d’autres espèces de guêpes parasites se spécialisent dans la prédation des larves des galles. 

Mouches à escargots 

Parmi les nombreuses mouches qui circulent comme partout, j’en repère certaines qui ont un look très différent des « mouches classiques ». Elles se démarquant par leurs antennes allongées, tendues vers l’avant faisant penser à des cornes : elles appartiennent à une famille de mouches, les Sciomyzidés, spécialisée dans le parasitisme et la prédation des mollusques d’eau douce dont les limnées (voir ci-dessus). 

J’ai la chance de tomber sur un couple accouplé qui se laisse photographier de très près : on voit bien leur tête étrange avec de grands yeux. Impossible de donner même un nom de genre … à moins que si un spécialiste de ces mouches lit cette chronique et nous éclaire ; les mouches en général sont très peu étudiées et il n’existe pas de guides spécifiques.

Sépédon sphex sur massette : sans doute en train de chercher des limnées ?

Et puis, il y a celle-ci, très typée : svelte et toute noire, des pattes rouges aux cuisses hérissées de poils et les antennes tendues noires avec un fil blanc en avant (arista) ; il pourrait bien s’agir du sépédon sphex (Sepedon sphegea), sous réserve qu’il n’existe pas plusieurs espèces proches ? Elle aussi appartient à cette famille liée aux milieux humides ; ainsi, la mare entretient autour d’elles tout un ensemble d’espèces non directement aquatiques mais liées quand même à l’eau. 

Le net des araignées 

Roncier à araignées en bout de mare : un milieu précieux comme la mare

A une extrémité de la mare (vers l’aire de jeux) sur le côté s’étend un massif très dense de ronces bleuâtres, une ronce moins robuste que la ronce commune, plus basse et aux mûres sombres à grains pruineux (comme recouverts de cire). Ce milieu constitue un formidable refuge impénétrable où prospèrent notamment de nombreuses araignées qui profitent de la richesse ambiante en insectes pour s’approvisionner.

Ce sont des dizaines de toiles étalées en hamacs qui ornent à tous les niveaux le fourré de ronces ; on pressent qu’il doit y avoir beaucoup de victimes vu la densité des toiles. Justement, je dérange une petite punaise noire qui se jette dans une toile ; aussitôt, l’araignée accourt et s’en empare. Peut-être est-ce une agélène à labyrinthe (deux petites pointes au bout de l’abdomen) qui tisse justement de telles toiles en nappes dans la végétation ? Une fois de plus, l’identification des espèces reste très compliquée (sauf de rares espèces très typiques) et les arachnologues (spécialiste des araignées) ne courent pas les rues. 

Tétragnathe en position de repos sur sa toile au-dessus de l’eau de la mare

Par contre, pour cette araignée à longues pattes et au corps allongé, installée sur une toile lâche, on peut avancer au moins un nom de famille : une tétragnathe ; plusieurs espèces fréquentent justement le bord des eaux.

Une belle toile régulière en cercle signe une araignée dite orbitèle, celles qui font les toiles « classiques » : là, on peut avancer une espèce, l’épeire diadème, une espèce très commune partout. 

Sur des menthes à feuilles rondes, je trouve un cocon avec à côté une grappe dense de bébés araignées ; sur un jonc, un autre type de cocon très fermé … Bref, là aussi la biodiversité est au rendez-vous et nous n’en effleurons qu’une toute petite partie tant ces êtres mènent une vie cachée.

Ce rapide panorama qui restitue quelques observations ne donne qu’une petite idée de la biodiversité réelle (en nombre d’espèces) qui doit se chiffrer en centaines rien que pour les insectes et araignées. Et encore, ici, j’ai laissé de côté les espèces observées sur le communal qui entoure la mare avec des pelouses sèches fleuries. Nous consacrerons une autre chronique à cette partie distincte mais directement en connexion avec la mare : les insectes circulent entre milieux voisins comme les prédateurs qui viennent chasser ici même si, comme les libellules, ils sont nés de la mare.