Château de Chouvigny qui surplombe les gorges vu depuis le sentier

24/01/2022 Ce zoom balade part du village de Chouvigny situé à la sortie des gorges de Chouvigny, le défilé rocheux le plus spectaculaire qui jalonne le cours de la rivière Sioule (voir le zoom-balade sur le site de Château-Rocher à 10 km en amont ou celui des gorges de Châteauneuf-les-Bains encore plus en amont). Le circuit monte rapidement sur le vaste plateau ondulé qui domine ces gorges sur la rive gauche. Il permet ainsi de parcourir la région des Combrailles (voir la présentation dans le zoom-balade sur Château-Rocher) au paysage bocager et forestier dominé par les prairies dédiées à l’élevage bovin. A quelques kilomètres en aval, dans la vallée toujours très encaissée, on trouve le site protégé des landes de Péraclos (voir le zoom-balade consacré à ce site).

Murettes réhabilitées dans le village

Ce circuit que j’ai composé sur carte (GéoPortail) n’est pas balisé dans son ensemble même s’il emprunte à plusieurs reprises d’autres sentiers balisés dont le GR Val de Sioule au début : munissez-vous donc du plan joint pour le parcourir. Les numéros reportés et les lieux-dits serviront de balises pour la description ci-dessous centrée sur les aspects nature et environnement tels que je les ai perçus par un bel après-midi d’hiver. 

Altitude : 400-550m ; Durée : 2H 30 ; Départ : Parking dans le village de Chouvigny (03) un peu plus haut que l’église. Dans le premier tiers, le circuit suit le GR Pays Val de Sioule. 

De Chouvigny au hameau de la Grande Lande (GR)

Dès l’entrée sur le GR, le ton est donné avec les murettes de pierre sèche bordent le chemin. La roche brune, en dalles aplaties, avec parfois des reflets chatoyants argentés, est typique de cette partie des gorges de la Sioule : une roche dite métamorphique du type micaschiste ou gneiss ; son litage naturel se prête très bien à la construction de murettes (voir la chronique sur ces ouvrages). Ici, dans ce contexte de pente sèche, elles ont servi à consolider les talus et à créer des terrasses pour des cultures vivrières dont des arbres fruitiers (et peut-être de la vigne) : des escaliers rustiques mais ingénieux permettaient d’accéder aux parcelles. Rien que du local récupéré sur place et pas un gramme de ciment ! L’abandon agricole ancien de ces zones a laissé le champ libre aux arbres et arbustes qui ont investi les lieux.

Ces murettes constituent des milieux de vie hors pair pour la faune (voir la chronique générale sur ce sujet) mais en cette fin janvier froide, pas grand-chose ne bouge autour des pierres endormies ! Par contre, on peut observer la flore avec les plantes pérennes qui persistent en hiver. Les plus intrigantes sont les feuilles rondes et charnues du nombril-de-Vénus (voir la chronique), une spécialiste des milieux rocheux ; à ses côtés, une belle communauté de fougères : la doradille dorée (voir la chronique), la capillaire, le polypode, la doradille noire et la doradille septentrionale. De belles touffes de germandrée sauge des bois coiffent les sommets de murettes.

Et puis s’y ajoutent, quand les murettes se trouvent en pleine lumière, les parures bigarrées des lichens qui ne sont pas des plantes mais des champignons (voir la chronique). 

De vieux arbres tortueux accompagnent la montée : des chênes, une très vieille aubépine remarquable qui a probablement été entretenue par les anciens pour atteindre cette taille imposante. Une cépée de trois énormes érables champêtres (reconnaissables à leur écorce en petites plaques fissurées) écrase la murette.

Vieux érables champêtres perchés sur une murette

Un jeune arbre élancé attire mon attention : de loin, je n’arrive pas à l’identifier ; au pied, des feuilles mortes rousses à trois lobes arrondis signent l’érable de Montpellier, une essence spontanée ici bien que méditerranéenne ; il abonde dans les parois rocheuses des gorges et atteint ici sa limite nord d’expansion dans le massif Central. 

Le sentier traverse un vieux bois de robiniers faux-acacias en pleine décrépitude avec des troncs écroulés en tous sens : depuis quelques années, ils souffrent beaucoup des sécheresses répétées. Cet arbre a dû être introduit au temps des murettes florissantes car il fournit un bois imputrescible idéal pour fabriquer des piquets.

Grandeur et décadence des robiniers

Le hameau de la Grande Lande offre quelques vieilles maisons et murettes construites elles aussi en micaschiste mais avec, en plus, de gros blocs plus massifs : la roche est du granit que nous allons bientôt rencontrer sur le plateau. 

De la Grande lande au Gougeat (GR)

Bocage typique des Combrailles

Nous voilà sur le plateau mollement vallonné et son paysage bocager maillé de prairies où paissent des charolais avec des rideaux de grands arbres et des haies basses. De très beaux spécimens d’arbres jalonnent ce passage : un charme taillé en têtard bas (voir la chronique sur les trognes) qui marque l’angle de la dernière maison du hameau, des merisiers en cépées de plusieurs troncs (promesse d’une superbe floraison ce printemps à venir !), une imposante cépée d’érables champêtres, ….

Un bosquet de pins sylvestres porte des « cocons » de processionnaires : une preuve indirecte du réchauffement climatique en cours car cette espèce est frileuse. 

Sur le talus rocheux à la sortie du hameau de la Grande Lande, nous sommes toujours sur les roches métamorphiques qui affleurent un peu avec des colonies d’orpin réfléchi aux teintes hivernales des plus variées… Dans le vallon suivant se tient un vieux verger abandonné : les pommiers non entretenus montrent des signes de dépérissement tandis que le tapis herbacé s’est densifié et que les ronces gagnent du terrain. Certes, ces vieux arbres hébergent leur lot de biodiversité (dont des insectes xylophages mangeurs de bois) mais l’abandon de l’entretien signifie la fin de l’attrait de ces milieux intéressants pour divers oiseaux dont la chevêche ou le torcol et le rouge-queue à front blanc qui ne trouvent plus le couvert herbacé ras au sol pour se nourrir (voir la chronique). 

Inversement, le recours aux clôtures de barbelés a supprimé nombre de haies anciennes dont on devine les traces ; le sur-entretien mécanisé des bords de chemins (nécessaire d’un côté mais trop zélé) maintient les haies arbustives à un stade très bas, étriqué, très peu propice à la nidification des passereaux tels que bruants, tariers pâtres ou fauvettes ; heureusement quelques genêts à balais, un colonisateur hors pair (voir la chronique), remplissent les vides. En même temps, le passage du gyrobroyeur sur les talus entretient une végétation rase propice aux floraisons qui attireront les insectes et deviennent des « plaques chauffantes » indispensables au printemps pour divers papillons (voir la chronique sur les cuivrés) ou les lézards verts et les serpents.

En se retournant, la vision du chemin herbeux qui serpente nous rappelle l’importance de ces derniers comme voies de circulation : la nuit, chevreuils, renards, sangliers, martres, et autres mammifères doivent trottiner au long de ces autoroutes pour rejoindre leurs terrains de chasse ou de pâturage. Quelques pistes discrètes imprimées dans l’herbe en attestent.

Un autoroute nocturne : le chemin herbeux
Piste laissée par un visiteur de la nuit

Un autre élément paysager très favorable apparaît : des murettes basses servant cette fois de clôtures de prés ou de lisières de bois. Mais la structure a changé : ce sont de gros blocs massifs ; nous avons quitté le métamorphique pour entrer dans le granitique ; pas besoin de carte géologique pour lire le sous-sol ! Ces murettes imposent leur réseau au paysage qu’elles structurent avec les alignements de vieux arbres. 

Un miaulement retentit à l’entrée du hameau du Gougeat : une buse variable cercle dans le ciel bleu ; comme un clin d’œil, commence en face la rue de la buse ! 

Du hameau du Gougeat au hameau du Maunoux 

La puissance sereine d’un vieux têtard de chêne pédonculé

Sur cette partie relativement plane du plateau, le bocage originel accuse les coups de butoir de l’agriculture intensive qui, ici aussi, se développe sans bruit. Certes les prés dominent toujours comme en atteste ce magnifique chêne pédonculé contre le tronc duquel des générations de vaches ont dû se frotter jusqu’à lisser son écorce rugueuse ; mais les haies ont laissé place aux barbelés. Les silhouettes d’élevages en batterie se profilent à l’horizon et de grandes parcelles cultivées commencent à poindre. Du coup, les haies et murettes de bordure sont malmenées voire éliminées … au pire moment car elles représentent des tampons efficaces contre les excès climatiques dont les épisodes de sécheresse (voir la chronique sur les arbres et l’eau du sol). 

Tout n’a pas disparu heureusement mais la tendance s’accélère et gagne du terrain. Il reste encore de beaux arbres isolés comme cet antique châtaignier ou ces deux frênes aux troncs enlacés qui ont développé entre eux des renforts par soudure (voir la chronique sur ce processus étonnant).

Châtaignier remarquable en pleine forme

Un peu avant le Méry, je tombe en arrêt sur des pancartes qui signalent une mini-ferme, la ferme de Marie qui accueille du public : belle initiative ! 

Piste de sable granitique

La grande piste qui conduit au Méry nous indique que nous sommes maintenant sur un substrat sableux argileux d’arène granitique, i.e. le sable issu de la désagrégation en surface du granite du sous-sol, le « gore » comme on le nomme en Auvergne. Ce genre de chemin peut paraître très minéral mais s’avère souvent intéressant pour les insectes au printemps : les cicindèles, de redoutables prédateurs adorent chasser en plein soleil ; papillons et libellules viennent s’y chauffer ; …

Une parcelle cultivée en colza d’hiver permet d’observer la flore adventice (i.e. les « mauvaises herbes » si mal nommées !) de ces champs sableux. Des touffes de feuilles fines en forme d’aiguilles charnues dominent : l’espargoutte ou spergule des champs ; avec elles, les rosettes plissées des buglosses, les feuilles composées des bec-de-grues, les rosettes rugueuses des arabettes des dames, … Une rosette d’orchis bouc au bord du chemin a de quoi surprendre ici à cette altitude sur du sable granitique mais cette espèce connaît depuis deux décennies une spectaculaire expansion liée entre autres au réchauffement climatique en cours (voir la chronique). 

Tilleul totem ; noter les rameaux terminaux rouges

Dans le Méry, un superbe tilleul trône, un grand classique des hameaux des Combrailles ! Justement, un peu plus loin, nous passerons au hameau du Tillot : pas un hasard ! Le climat assez humide permet aux mousses de conquérir les vieux toits comme ces coussinets moelleux qui doivent profiter de ce beau temps pour s’activer (voir la chronique sur la vie des mousses) même avec seulement 8°C. 

Le Maunoux-le Tillot-les Granges 

Un bocage qui réchauffe le coeur

Après le Maunoux, le circuit longe en balcon les gorges de Chouvigny au loin. Cette partie renoue avec des paysages bocagers et forestiers de haute qualité environnementale qui réchauffent le cœur du naturaliste.

De mieux en mieux !

Une mare dans un pré à la sortie du Maunoux me renvoie à une affiche vue dans le hameau informant d’un inventaire des zones humides (initié dans le cadre du schéma d’Aménagement et de gestion des eaux en 2019 pour délimiter et caractériser les zones humides du bassin de la Sioule) ; espérons que cet inventaire servira à mieux protéger toutes ces précieuses petites zones humides, nombreuses dans ces paysages. 

Une mare abreuvoir et sa petite zone humide attenante : précieux refuge pour amphibiens, libellules, …
Initiative intéressante … à concrétiser !

Les murettes de granite s’imposent de nouveau dans le paysage autant sur les talus du chemin, coiffées par des arbres vénérables, que dans les prés et en lisière des bois de chênes et châtaigniers qui couvrent les deux buttes culminant à 580m d’altitude.

Encore mieux avec la compagnie d’une murette moussue

Ici, à la faveur des ombrages, elles se couvrent de tapis de mousses moelleux. Un nouveau venu s’invite aussi dans le décor : le buis, qui apparaît en masses le long des lisières et sur les talus ; là, taillés par les passages répétés des épareuses, ils prennent un aspect bonsaï plaqué contre les murettes ! Cet arbuste est ici spontané et peuple en grandes colonies les falaises rocheuses des gorges. 

Les rideaux de grands arbres se succèdent avec leur lot de curiosités et d’œuvres d’art naturelles. Au Tillot, c’est un très vieux saule têtard perclus de cavités ; un peu plus loin, un frêne têtard taillé très bas porte haut d’immenses perches nouvelles ; d’autres semblables plus classiques l’accompagnent. Le contraste est saisissant avec leurs grands frères qui n’ont pas été taillés et ont pu déployer leur couronne toute en hauteur.

Sur la gauche, sur une murette, un chêne surbaissé me laisse coi par sa silhouette : jamais vu auparavant de pareil spécimen aux branches à « la Popeye » ! Après une belle rangée de charmes têtards aux troncs noueux à droite, un chêne s’est couché et appuyé sur une murette avant de se redresser comme une harpe. Quel plaisir d’être ainsi surpris presque à chaque pas par ces vétérans aux gueules cassées improbables ! 

Saule têtard dont le regard nous accompagne

Après la croix des Granges hautes, le chemin descend en direction du roc Armand dans les gorges. Comme le circuit en rejoint à cet endroit un autre, le circuit des murailles très surprenant avec des murettes enfouies sur les pentes des gorges : nous lui consacrerons bientôt une autre chronique dans laquelle nous parlerons donc du retour vers le village et le parking de départ. 

Regard méfiant de ce taureau charolais croisé aux Granges hautes : cette chronique ne semble pas plaire à tout le monde !

En tout cas, je me promets de revenir refaire ce circuit dès les premiers beaux jours du printemps car il y a dans ces paysages des promesses de belles observations fleuries et de chants d’oiseaux et d’insectes et …. 

Bibliographie

La ferme de Marie

Site du village de Chouvigny