09/08/2023 Parmi les éléments naturels non-vivants (abiotiques) qui influent fortement sur la vie des végétaux, le vent, i.e. un déplacement d’air horizontal, occupe une place importante. Il impacte la vie végétale de nombreuses façons.

De manière négative, il peut casser ou déformer les tiges ou troncs (voir les pins couchés du littoral), déchirer les feuilles, arracher les fleurs fragiles, … ; surtout, il interfère fortement avec l’évapotranspiration des feuilles, le rejet de vapeur d’eau par les micro-orifices des feuilles (stomates) qui joue un rôle déterminant dans la circulation des sèves dans la plante : il tend à accélérer ce rejet d’eau (comme il sèche le linge mouillé) ce qui amène les plantes à fermer leurs stomates pour éviter le dessèchement. Mais ce faisant, elles ne peuvent plus prélever le dioxyde de carbone de l’air et faire la photosynthèse, source de nourriture. Un dilemme de plus en plus terrible avec la crise climatique en cours ! Le vent attise aussi les incendies et favorise leur départ.

De manière positive, le vent peut participer à la dispersion des fruits/graines dotés de dispositifs offrant une prise au vent (anémochorie), permettant des transports parfois à très longue distance (voir l’exemple des graines ailées des Conifères ou les graines plumeuses des peupliers). De même, il peut transporter le pollen des plantes à fleurs adaptées (anémophilie) ou les spores des mousses et des fougères (voir l’exemple des fougères des murs ).

Du point de vue purement émotionnel de l’humain, le vent possède une vertu irremplaçable : celle d’animer les végétaux, de les mettre en mouvement, offrant des spectacles grandioses comme celui du vent balayant les champs de blé qui ondulent ou des sons comme celui des feuillages d’arbres frémissant dans le vent. Cet aspect a beaucoup frappé les Anciens, persuadés dans leur ensemble que les végétaux « plantés » et immobiles n’étaient pas des êtres vraiment vivants ! De ce fait, certaines plantes sur lesquelles les effets du vent étaient particulièrement visibles ou audibles ont reçu des noms populaires faisant référence au vent. Nous allons parcourir quelques espèces de notre flore relevant de ce groupe des « plantes-du-vent » !

Jouet du vent

Commençons ce tour d’horizon par une graminée particulièrement délicate et élégante : l’agrostide jouet-du-vent (Apera spica-venti). Cette « herbe » (nom populaire des graminées) peut être très abondante dans les champs de céréales d’hiver (semées en fin d’automne) sur des sols acides, non calcaires : elle fait partie du vaste groupe des adventices des cultures, les ex-mauvaises herbes. Comme elle ne colonise que les céréales, on la classe dans le sous-groupe écologique des messicoles, les plantes des moissons au même titre que coquelicots, adonis, nielles, … . Elle n’est guère appréciée des agriculteurs car le plus souvent elle prolifère et peut (un peu) concurrencer la culture : mais quand même, quelle beauté ajoutée au paysage !

Elle mérite bien son nom de jouet-du-vent avec ses panicules vaporeuses d’épillets minuscules, très nombreux : le moindre vent agite l’ensemble tandis qu’en-dessous les lourds épis de blé vont et viennent sans la grâce infinie des « plumeaux » de l’agrostide. Les axes longs et fins qui portent les épillets (rachis) participent grandement à cette réactivité au vent. Elle a d’ailleurs reçu d’autres noms populaires allant dans le même sens : plumette et, plus inattendu, éternue éventée !

Cette référence au vent se retrouve jusque dans le nom latin avec l’épithète spica-venti formé de spica pour épi et venti pour le vent. Curieusement, nos voisins anglo-saxons, pourtant habituellement experts en noms évocateurs bien choisi, n’ont pas retenu cette allusion et la nomment l’agrostide soyeuse lâche (loose silky-bent). Par contre, en allemand (gemeiner windhalm), en néerlandais (grote windhalm ou en danois (vindaks), le vent souffle bien dans les noms.

Herbe-au-vent

Je commencerai ce paragraphe avec les paroles d’une courte chanson de Julos Beaucarne, chanteur poète belge disparu que j’aime beaucoup, intitulée La potentille des montagnes. En termes très sensibles, il avait réussi, bien avant l’heure, à évoquer le terrible déclin de la flore ordinaire à travers les espèces disparues sous l’emprise de l’urbanisation galopante.

La potentille des montagnes, le carex de Schreber font-ils encore au Vésinet la joie des rares botanistes?
Cueille-t-on encore à Montmorency l’ancolie, la linaigrette à larges feuilles, le carex de mer?
À Domont, l’orchis vert, la pyrole mineure et la pyrole à feuilles rondes?
À Nogent, près de la gare, la rarissime scutellaire de Columna, le carex pauvre?
La tulipe sylvestre fleurit-elle toujours à Saint-Cloud?
L’anémone pulsatile, belle herbe au vent, survit-elle au bois de Boulogne?
Que de visages effacés à jamais!
Que de richesse estimable seulement en monnaie de bonheur disparue sous la brique et l’asphalte, écrasée sous les pas !

Dans cette liste nécrologique figure l’anémone pulsatille ou herbe-au-vent, espèce rare en France et inféodée aux pelouses sèches naturelles. Cette anémone fleurit tôt au printemps (d’où son autre surnom de fleur de Pâques) avec des grosses fleurs en forme de clochettes somptueuses d’un beau violet intense (d’où divers surnoms de clochette, coquelourde, coquerelle).

Il y a débat selon les auteurs quant à l’organe floral à l’origine des noms et surnoms de pulsatille et d’herbe-au-vent (ou aussi herbe-du-vent). Pour les uns, ce nom vient des fleurs qui se balancent au vent du fait de leur grosse taille et de leur port un peu penché. Linné la décrivait ainsi : « pulsatione floris vento ». Pulsatille vient du latin pulsatus, battu par le vent (pulsare, agiter).

Mais, pour d’autres auteurs et selon certains folklores régionaux (Normandie ou Champagne), ces noms renvoient aux fruits secs qui succèdent aux fleurs : les multiples ovaires qui composent le pistil à l’intérieur de la « cloche » deviennent chacun un fruit sec surmonté d’une arête plumeuse (le style qui s’est allongé et persiste). On retrouve ce type de têtes fructifiées chez la clématite vigne-blanche, une parente dans la même famille des Renonculacées. Une fois la corolle tombée, le pédoncule se redresse et arbore une « tête » hérissée de dizaines de ces fruits plumeux dont les aigrettes plumeuses s’agitent au moindre vent. Effectivement, ces plantes en fruits scintillent de loin en lumière rasante.

Au sein des anémones (genre Anemone), on distingue un sous-groupe d’espèces (sept en France) chez qui les fruits sont ainsi plumeux (sous-genre Pulsatilla) ; toutes les autres ont des fruits secs sans appendice plumeux dont l’anémone des bois . Plusieurs espèces sont abondantes en haute montagne dont la Pulsatille des Alpes ou la pulsatille du printemps. Encore récemment, on les classait dans un genre à part : Pulsatilla, distinct de Anemone.  

Notons pour finir que G. Bonnier, célèbre botaniste auteur de la première flore de France en format « poche », avançait une autre étymologie : il prétendait que Pulsatilla venait de l’action toxique du suc de cette anémone sur les battements cardiaques, …sauf qu’en fait, si elle agit bien sur le cœur, elle provoque un ralentissement cardiaque (utilisée en homéopathie pour cet usage « calmant »). Peut-être qu’il s’était laissé abuser par l’adjectif pulsatile (animé de pulsations liées aux battements cardiaques) très ressemblant mais qui s’écrit avec un seul l.

Faux-ami ?

Nous venons d’évoquer ci-dessus le genre Anémone ; à l’oreille, l’étymologie semble transparente : anemo qui désigne le vent (voir anémomètre). Effectivement, le dictionnaire culturel en langue française, Le Robert fournit cette étymologie : nom féminin ; 16ème ; emprunté au latin anemone lui-même pris au grec anemônê, de anemos vent : la fleur qui s’ouvre au vent.

Mais, si on se range derrière l’hypothèse que ce sont les fruits plumeux plutôt que les fleurs qui seraient à l’origine de cette référence aux effets du vent, alors la majorité des anémones (toutes celles non-pulsatilles) ne sont pas concernées (voir ci-dessus). De plus, beaucoup d’espèces d’anémones n’ont pas des fleurs si sensibles que cela au vent ou vivent dans des milieux peu soumis au vent comme l’anémone des bois.

Dans la mythologie, on trouve une confirmation indirecte de cette première hypothèse à travers l’histoire de la déesse Flore, qui, jalouse des attentions que son mari Zéphyr portait à nymphe Anemone, transforma celle-ci en « fleur du vent », à la merci du vent du Nord (mais on lui prête beaucoup d’histoires variées !). En tout cas, dans cette histoire, ce n’est pas spécialement la sensibilité des fleurs au vent qui est en cause ?

D’autres linguistes avancent une tout autre origine : anémone dériverait du grec à partir du sémitique ancien Naaman (surnom d’Adonis). Selon la légende mythologique, Adonis fût mortellement blessé à la jambe par un sanglier ; une goutte de son sang tomba au sol ; la déesse Aphrodite, amoureuse du bel Adonis, versa une larme sur celle-ci. Il y naquit une fleur rouge somptueuse qui serait soit l’adonis fleur-de-sang, soit l’anémone des fleuristes ou anémone couronnée, une espèce méditerranéenne répandue.

Plusieurs indices viennent corroborer cette seconde hypothèse. Dans l’Histoire des origines du christianisme de E. Renan (1866), on trouve cette mention : On était vers la fin du mois d’avril. La terre alors est parsemée d’anémones rouges, qui sont probablement ces « lis des champs » dont Jésus aimait à tirer ses comparaisons. 

En anglais médiéval, anemone désigne … les coquelicots, autres fleurs rouge intense. Toujours en Grande-Bretagne, où la pulsatille est présente et très populaire, on prétendait qu’elle naissait à partir du sang des Danois et des Romains car elle semble fréquenter avant tout les anciens talus ou fortifications (voir aussi l’exemple du sureau hièble) où se déroulèrent des batailles sanglantes.

A vous donc de choisir l’étymologie qui vous convient le mieux … ou de considérer les deux comme aussi valables l’une que l’autre.

Les « tremblent au vent »

L’allusion au vent peut aussi apparaître de manière indirecte dans les noms des plantes via les mouvements qu’il imprime. Deux exemples très populaires illustrent bien ce cas.

Peu de graminées offrent des caractères suffisamment typiques pour être connues du grand public : les amourettes sont de celles-là avec leurs épillets en forme de petit cœur pendants d’une remarquable délicatesse. Nous avons consacré une chronique à la plus commune des trois espèces de notre flore : la brize intermédiaire. Je reprends donc ici le passage de la chronique consacrée à son nom évocateur de brize :

L’inflorescence déployée forme une panicule très lâche pyramidale, presque aussi haute que large. Elle est constituée d’une succession d’étages de fins pédoncules ramifiés et plus ou moins ondulés, comme hésitant quant à la direction à prendre ! Tout au bout de chaque ultime ramification se trouve un épillet, l’élément de base des inflorescences de graminées ou poacées : le brusque coude à angle droit du pédicelle porteur lui donne un port pendant typique et le rend sensible au moindre souffle de vent. Et c’est là un des grands spectacles à savourer : des panicules étalées agitant dans le vent leurs nombreux petits épillets. On saisit alors très vite l’origine de son nom officiel de brize (Briza), dérivé de britho, je balance. Divers noms populaires traduisent cette particularité : tremblotte, tremblette, brize tremblante ou, en anglais quaker-grass ou quaking-grass (to quake = trembler).

Grande brize

Une autre espèce, la brize majeure, méditerranéenne en expansion et très cultivée, produit de gros « cœurs » pendants qui, secoués par le vent, peuvent engendrer un bruit audible de frottements !

De même, nous avons déjà évoqué le cas du peuplier tremble dans une chronique dédiée entièrement à son feuillage et à la fonction possible de sa capacité à « trembler » :

La feuille du tremble … tremble ainsi parce qu’elle est portée par un long pétiole (4 à 5cm), très souple mais résistant, aplati verticalement et raccordé perpendiculairement au limbe de la feuille. Ainsi, au moindre courant d’air, la feuille s’agite, se tord sans cesse, émettant un bruissement léger et ce d’autant que les bords du limbe arrondi portent des crénelures qui favorisent le passage latéral de l’air.

Ajoutons que l’épithète tremula du nom scientifique d’espèce dérive du latin tremulus pour tremblant, agité. Il existe d’ailleurs un verbe intransitif peu connu : trémuler, qui signifie « être agité d’un tremblement ».

Les « roulent-au-vent »

De rares plantes ont recours à un mode de dispersion de leurs fruits/graines très original : la plante fructifiée sèche sur pied et les tiges se rompent à ras du sol ; la touffe sèche portant les fruits est emportée par le vent et roule tout en laissant peu à peu échapper ses fruits/graines. Ce sont les tumbleweeds des anglo-saxons que nous avons surnommées « virevoltants » dans deux chroniques dédiées :  Les virevoltants, des plantes qui roulent au vent et La course folle des virevoltants. L’allusion au vent ressort sous une forme très déformée, dans le nom de l’une d’entre elles : le chardon Roland.

Son nom vernaculaire (français) officiel est panicaut champêtre. Il s’agit en fait d’un faux chardon car cette plante épineuse n’appartient pas du tout à la famille des Composées où se placent les « vrais » chardons mais à celle des Ombellifères. Mais, au sein de cette dernière, il détonne par ses ombelles très condensées ressemblant justement à des … capitules de composées (voir la chronique sur les panicauts) !

Très commun, le chardon Roland colonise, souvent en vastes peuplements, les dunes, les rocailles et garrigues, les pelouses desséchées, les prés secs surpâturés (où il échappe à la dent du bétail), les grèves sableuses, … soit des milieux très ouverts.

Au printemps ou à l’automne de l’année suivant la floraison, la tige meurt et pourrit au collet : la touffe sèche sur pied. De forme très arrondie, elle finit par se détacher et rouler, poussée par le vent, tout en dispersant ses graines qui tombent. Comme il habite des milieux très ouverts, sans végétation capable de l’arrêter, il peut ainsi rouler assez loin jusqu’à tomber sur un obstacle infranchissable comme une clôture ; ainsi, des centaines de pieds secs peuvent s’accumuler en de tels endroits. Son proche cousin, le chardon bleu des dunes ou panicaut maritime fait de même : les ganivelles servant à retenir le sable voient souvent s’entasser des milliers de ces « squelettes » desséchés !

L’écrivain roumain de langue française, Panaït Istrati (1884-1935), surnommé le Gorki des Balkans, a très bien décrit de telles scènes dans les plaines steppiques en Grande Valachie ; dans son roman Les chardons du Baragan (1928) (dont je vous conseille la lecture), il écrit :   

En Roumanie, quand arrive le mois de septembre, le vent de Russie, que là-bas l’on nomme le crivatz, souffle avec tant de fureur qu’il emporte les chardons des terres incultes du Baragan dans une cavalcade effrénée, intempestive. »
« le Baragan, c’est le lieu que le Seigneur a octroyé à la Valachie pour que le Roumain puisse rêver. Une terre infertile où rien ne vient, sauf les chardons qui prolifèrent et envahissent l’espace tels des moutons dont la laine serait d’acier.

Par ailleurs, G. Bonnier (voir ci-dessus) a aussi écrit à son propos, dans un style plus scientifique : « Lorsque la tige fructifère est desséchée, le vent l’enlève parfois et la fait rouler sur le sol, de façon qu’elle vient quelquefois se mélanger aux fourrages voisins, d’où le nom vulgaire de chardon roulant et par corruption Chardon-Roland ». Et voilà donc l’origine, peu transparente a priori, de ce surnom curieux de chardon Roland !

Notons pour terminer dans ce registre qu’il existe une grande Labiée (ou lamiacée) des pelouses sèches du Midi nommée Phlomis herbe-au-vent (Phlomis herba-venti) pour la même raison : ses tiges sèches se détachent et peuvent être roulées par le vent.

Parions que désormais, fort(e)s de ces histoires humaines, vous prêterez plus attention à ces plantes et à leur mode de vie.