09/06/2023 Messicoles ? Ce nom botanique commence juste à percoler dans la sphère populaire avec l’attention portée à notre biodiversité. Les messicoles sont des plantes sauvages des terres cultivées (adventices) étroitement associées aux cultures annuelles de céréales ; mot à mot, messicoles signifie en effet « plantes des moissons ». Elles sont une bonne centaine d’espèces en France ainsi inféodées à ce milieu lié directement à l’agriculture et connaissent un déclin accéléré avec l’intensification agricole dont l’usage des herbicides ; plusieurs d’entre elles sont au bord de l’extinction ou très fortement raréfiées.

La Limagne auvergnate où j’habite, « paradis » des grandes cultures intensives, subit de plein fouet cet effondrement de la flore messicole. Dans ce contexte, les parcelles gérées en agriculture biologique, sans pesticides, deviennent des refuges potentiels pour cette flore messicole.

Tout près de chez moi, sur un plateau calcaire de la commune d’Artonne (63), nous avons justement quelques parcelles cultivées en bio ; l’une d’elles, de plusieurs hectares, fait l’objet d’un suivi par le Conservatoire des Espaces Naturels. Bernard Rubod, conservacteur bénévole au CEN et naturaliste promeneur photographe me propose de visiter cette parcelle : nous sommes en effet au pic des floraisons de la première vague des messicoles (d’autres émergent après la moisson). Cette chronique relate l’enchantement vécu dans cet Eden tout fleuri de messicoles !

Zoom-nature au paradis fleuri (cliché B. Rubod)

Quatre couleurs : Bleu

La parcelle est semée d’une orge rustique peu commune, l’orge à deux rangs, aux délicats épis très barbus.

Dès le premier regard, on comprend qu’il se passe quelque chose d’incroyable dans cette parcelle car elle se trouve enclavée au milieu d’autres traitées en mode intensif classique : contraste saisissant entre celle-ci parsemée de floraisons multicolores et les autres chacune d’un vert uni avec au plus des taches jaunâtres … des « mauvaises herbes » empoisonnées par les herbicides répandus.

Quatre couleurs dominent : bleu, rouge-rose, blanc et jaune.

Bleuets

Commençons par le bleu. Les bleuets s’imposent en masse soit sur les bordures, soit en colonies mêlées aux coquelicots : leur port en touffes ramifiées les placent au-dessus de la céréale assez basse. Des petites abeilles solitaires et des abeilles domestiques les visitent. Il semble que l’incapacité de cette espèce à se reproduire sans l’intervention d’insectes pollinisateurs soit une des causes majeures de sa raréfaction observée dans toute l’Europe de l’Ouest : l’agriculture intensive et ses pesticides éliminent aussi bien la flore sauvage que la faune dont les pollinisateurs !

Les deux autres espèces à fleurs bleues sont bien présentes mais leur petite taille relative les rend plus discrètes. Les pieds d’alouette ou dauphinelles des blés se montrent par « essaims » qui semblent suivre des rangées : très basses et très ramifiées, elles arborent des fleurs d’un bleu intense prolongées par un long éperon et très serrées. Sa belle couleur bleue qui ne passe pas en plein soleil lui a valu autrefois la réputation de rafraîchir et rajeunir les yeux !

Les miroirs de Vénus ont des fleurs qui tirent plus sur le violacé avec le cœur blanc : c’est ce dernier qui lui vaut ce beau nom populaire à cause de sa ressemblance avec un miroir au milieu d’une fleur d’une grande beauté ! Elle appartient à la famille des Campanules et prospère dans les parties du champ plutôt clairsemées.

Quatre couleurs : rouge/rose

Quand on évoque la flore des moissons, le grand public cite de suite les coquelicots comme exemple iconique. Mais il existe en fait quatre espèces de coquelicots dont le grand coquelicot présent ici en masse et qui domine largement : normal, c’est le plus commun. Actuellement, on peut observer des champs rouges de coquelicots même dans des parcelles d’agriculture intensive massivement traitées car cette espèce s’est adaptée et a développé des populations résistantes aux herbicides. En fait, sa présence signifie surtout que le sol est plutôt enrichi car il se comporte en plante gourmande en nitrates. Tout ceci n’enlève rien à sa beauté et à son intérêt majeur comme source de pollen pour les insectes dont les bourdons et les abeilles.

Nielle des blés

Belle surprise dès les premiers pas en bordure : les nielles sont là ! Ressemblant à des œillets (même famille des Caryophyllacées), elles dressent leurs calices ventrus au bout d’une longue tige ramifiée. Cette espèce produit des graines noires très toxiques qui, autrefois, contaminaient le blé récolté, rendant la farine amère et un peu toxique ; ceci lui a valu autrefois d’être honnie et éliminée par tous les moyens. Le tri mécanique des semences l’a considérablement raréfié. Elle attire de nombreux insectes pollinisateurs ou prédateurs en chasse.

En bordure de champ, Bernard me montre des adonis d’automne qu’il a vu en fleurs il y a quelques semaines. On les reconnaît à leurs épis de fruits denses et leur feuillage très finement découpé ; dommage qu’ils soient passés car leurs fleurs rouge sang sont somptueuses. En examinant de plus près ces épis, j’en repère deux isolés de forme plus allongée et avec des fruits individuels dotés d’une sorte de carène : il s’agit d’une autre espèce encore plus rare, l’adonis d’été ! Ces plantes, comme la majorité des messicoles, persistent d’une année sur l’autre grâce à leurs graines tombées au sol et capables de persister des dizaines d’années avant de germer selon la gestion de la parcelle !

Une curieuse petite plante très ramifiée avec des fleurs rose pâle pullule dans les parties clairsemées. Les fleurs ont une forme très irrégulière et reçoivent la visite des petits bourdons et des abeilles : l’odontite rouge, une plante de la famille des Orobanchacées . Ses racines pompent la sève des autres plantes via des suçoirs émis par leurs racines (plante hémiparasite). Ici, elle doit parasiter en priorité l’orge car elle n’a pas de spécificité dans ses hôtes. Il s’agit de la sous-espèce printanière inféodée aux seules cultures alors qu’une autre sous-espèce, plus commune, fleurit en automne et vit dans des milieux herbacés variés.

Quatre couleurs : blanc

Matricaire inodore

Une « marguerite » au feuillage très finement découpé se montre çà et là : c’est en fait une espèce très commune, la matricaire inodore, parfois très abondante dans toutes sortes de cultures et de friches. Ce statut de « plante banale » ne l’empêche d’être très prisée des insectes pollinisateurs comme le montrent ces quelques clichés.

Colonie de liserons des champs

Une autre espèce hyper commune apparaît en grandes colonies dans la partie centrale de la parcelle très clairsemée où l’orge semble à la peine : le liseron des champs. Cette plante très vivace persiste grâce à ses rhizomes souterrains très développés et tend à devenir très envahissant : il devient vite un problème en culture biologique où on ne recourt pas aux herbicides chimiques. Il ne fait pas partie des messicoles car il s’accommode de toutes sortes de milieux. Néanmoins, là encore, comme la matricaire, il fonctionne comme une fleur corne d’abondance qui attire des foules de pollinisateurs.

Tout en marchant le long de la parcelle, nous percevons une nette odeur de punaise qui rappelle furieusement celle de la coriandre cultivée. Justement, entre les tiges d’orge, on voit de fines feuilles très découpées et des petites ombelles blanc pur, très proches de ladite coriandre : le bifora rayonnant, très abondant ici. Apparu en Limagne au début du 20ème siècle, il s’y est propagé largement, jusque dans les cultures de céréales intensives. Il produit des fruits réunis par deux, typiques des Ombellifères , dont la forme rappelle nettement une paire de testicules !

Dans l’angle nord du champ, sur quelques dizaines de mètres carrés, une mâche ou doucette sauvage (valérianelle des botanistes) attire mon attention : son port très divisé en branches par deux (dichotomiques) nettement écartées et ses minuscules fleurs blanches signent la valérianelle à oreillettes, espèce citée autrefois comme très commune mais devenue fort rare.

Restons dans les ombellifères avec une plante très basse (à peine dix centimètres) et qui dresse fièrement des groupes de très longs fruits pointus : le peignes-de-Vénus, une espèce strictement messicole qui commence à réapparaître après un très fort déclin. Elle abonde en lignes continues le long de la bordure. Voyez la chronique sur cette plante pour en savoir plus !

Enfin, des tiges raides dressées velues hérissées portant des fruits sombres par quatre signent la présence du grémil des champs, une messicole qui résiste globalement assez bien et réussit à se maintenir çà et là.

Quatre couleurs : jaune

Mélilots

Au centre de la parcelle, de grandes inflorescences jaunes dépassent nettement et tranchent avec le bleu des bleuets et le rouge des coquelicots : des mélilots, sans doute semés comme plante améliorante pour la fixation de l’azote de l’air par leurs racines pourvues de nodosités bactériennes. En tout cas, les fleurs très mellifères attirent une foule d’abeilles domestiques qui s’activent et bourdonnent.

Fruits épineux de la renoncule des champs

La plupart des messicoles, une fois fanées, deviennent très dures à détecter au milieu des tiges de céréales. Justement, mon regard se trouve accroché par un mini groupe de fruits verts d’aspect curieux : aplatis, ils portent des épines presque crochues. C’est la renoncule des champs, une renoncule annuelle strictement messicole et devenue fort rare en plaine. Elle est très localisée sur quelques mètres carrés où nous en trouvons une dizaine de pieds ; mais, la relève est assurée avec ces fruits. Autrefois, elle était tellement commune dans les céréales qu’elle en diminuait la valeur marchande : ses graines piquantes rendaient le blé difficile à mâcher même par les chevaux ! Les temps ont bien changé ! On la surnommait chausse-trape des blés.

Super cadeaux

L’effondrement de la biodiversité ordinaire largement médiatisée reste pour le grand public un concept théorique souvent mal compris. Par contre, pour les naturalistes d’un certain âge (!) comme moi, ce processus n’a rien de virtuel : nous le vivons profondément dans notre chair voyant disparaître ou se raréfier des centaines d’espèces que nous connaissions comme banales ou abondantes dans notre jeunesse. Ainsi, cela faisait des années que je n’avais pas vu autant de messicoles réunies dans la même parcelle ici en pleine Limagne, le fief de Limagrain !

Mais, la visite m’a réservé deux surprises incroyables qui m’ont ramené loin en arrière : deux espèces que je n’avais plus vues depuis très longtemps alors que je n’ai jamais cessé d’arpenter, les yeux grands ouverts, cette région.

Le premier nous est apparu en bordure du chemin qui longe la parcelle : un petit gaillet semi-grimpant qui escaladait péniblement les chaumes de l’orge. Bah, du gratteron me suis-je dis : vous savez cette plante envahissante très commune qui s’accroche aux vêtements ; il abonde souvent le long des cultures. Mais un détail m’a interpellé : les fruits deux par deux (comme chez le gratteron) mais bien plus gros, sans poils crochus et portés sur des pédoncules qui se recourbent complètement. Et un très vieux souvenir est alors remonté : le gaillet à trois cornes que je n’avais vu que deux fois dans ma vie, la dernière il y a environ trente ans !!! Je l’ai mitraillé sous tous les angles car je n’en avais même pas de photos ! Effervescence intérieure maximale !

Mais une seconde pépite nous attendait en haut du champ : des tiges fines très écartées portant des petits fruits secs en boule à surface ridée. Je me suis dit d’abord : ça doit être la caméline à petits fruits, une crucifère messicole rare mais que l’on croise encore et qui a cette allure. Mais, là encore, quelque chose clochait : les fruits de la caméline ont une forme de poire et une surface lisse ? Damned : la neslie paniculée, une autre crucifère à toutes petites fleurs jaunes, citée comme disparue de Limagne. Ma dernière observation datait du temps où j’habitais encore dans le Berry il y a plus de quarante ans !!!

Ces deux rencontres inespérées, symboles de la résilience de la biodiversité pourvu qu’on change de logiciel dans la gestion des cultures, redonnent espoir dans ce contexte d’effondrement général du vivant autour de nous.

Interrogation finale : quelles messicoles reconnaissez-vous ? !

Faune

C’est qui ces deux zozos qui regardent les fleurs ?

Dès nos premiers pas le long de la parcelle, outre les profusions de fleurs sauvages, nous avons été frappés par l’abondance des insectes et autres petites bêtes. Des dizaines de jeunes sauterelles vertes nous ont accompagné de leurs sauts ; on sait qu’elles consomment certes des végétaux mais aussi des petits insectes. Des araignées aussi un peu partout : des lycoses courant au sol ; des thomises embusqués sur des fleurs ; des toiles-tentes de femelles de pisaures abritant leur cocon d’œufs. Ces prédateurs représentent pour l’agriculteur un atout majeur pour maintenir les populations d’insectes bio-agresseurs qui s’attaquent à la culture à un niveau raisonnable.

Les messicoles attirent, comme nous l’avons souligné, une foule de pollinisateurs : abeilles solitaires , petites guêpes, bourdons, abeilles domestiques, syrphes. D’aucuns feront remarquer que cela n’apporte pas grand-chose à l’agriculteur vu que l’orge, comme les autres céréales, est censé être pollinisé par le vent. Cependant, des études récentes ont révélé par exemple que les syrphes, mouches floricoles, participent de manière non négligeable à la pollinisation des épis de céréales en venant collecter des grains de pollen. Par ailleurs, ces mêmes syrphes ont des larves prédatrices très voraces qui se nourrissent de pucerons : maintenir les adultes sur la culture via les messicoles permet donc de bénéficier en retour de leur protection contre les pucerons causant des dégâts aux cultures. C’est le principe des auxiliaires des cultures.

Femelle de Pisaure et sa toile-tente qui abrite sa progéniture

Enfin, certaines plantes messicoles ou d’autres adventices comme les cirses des champs hébergent des pucerons spécifiques qui servent de nourriture aux prédateurs comme les coccinelles, les chrysopes ou mouches aux yeux d’or, les larves de syrphes, … Ainsi, ces prédateurs trouvent là une ressource alimentaire qui leur permet de persister quand la ressource liée à la culture a disparu : les attaques de pucerons ne durent qu’un mois environ et ensuite ils partent vers d’autres plantes hôtes.

Finalement, cette visite nous aura, Bernard et moi, enchanté par ses couleurs, ses odeurs, ce grouillement de vie dans tous les sens, … qui contrastent tristement avec les cultures avoisinantes soumises au feu nourri des pesticides. Elle nous aura aussi allumé de petites lumières d’espoir avec ces rencontres improbables de « presque disparues ». Il suffit en fait de peu de choses pour que le vivant reprenne sa place : juste cesser de répandre ces substances de mort (y compris pour l’espèce humaine à long terme) !

A gauche en bio, à droite en chimique conventionnel ….